L’île est grande comme un mouchoir de poche, au milieu d’un vaste océan. Ici, les visages sont de toutes origines. Comme les croyances. Mais il y a là ce je-ne-sais-quoi qui manque souvent ailleurs dans le monde que le troisième millénaire s’emploie à dessiner. Il y a un art de l’hospitalité que rien ne vous permettra de prendre en défaut. L’accueil est dans ce modeste périmètre une manière de vivre.
Plaisance d’abord, la bien-nommée, vous ouvre la porte principale d’une nation qui a fait de l’hospitalité sa devise. Lorsque l’avion se pose sur un bout de terre. Dans le sud d’une île qui trempe ses racines dans l’océan indien. Et qui regarde, sans gloire, avec une sérénité rare, l’horizon qui clame jour après jour, inlassablement, tant de promesses.
Ici, l’horizon, toujours à un jet de pierre, est ouvert sur le grand large. Où dans la solitude de l’Océan des archipels, assiégés de toutes parts par des vagues souvent féroces, s’efforcent d’exister et existent en n’opposant qu’une fraternelle douceur.
Des quatre coins de cet horizon sont venus tant d’hommes pour conquérir, occuper et soumettre. Mais il ne reste rien de leur désir de vaincre, l’île a pansé ses blessures et ne songe, lorsqu’elle puise dans sa mémoire, qu’à regarder de l’avant.
Nous avons traversé, à notre tour, l’île jusqu’à Cap Malheureux. Sur cette côte où des hommes, et des femmes, ont payé cher leur désir de fuir l’adversité. Avaient-il ouïe dire que sur un bout de terre, grand comme un mouchoir de poche, en plein milieu de l’Océan, des hommes s’employaient à accueillir d’autres hommes sans rien leur demander en contrepartie que d’être des leurs et de se sentir là chez eux ? Ou seul le hasard et la nécessité les ont conduits là ?
Les langues portent de lointaines mémoires en elles et se mélangent. On se croit dans une petite Tour de Babel que des bâtisseurs, avec une malicieuse audace, ont érigé ici pour opposer un cinglant désaveu à ceux qui célèbrent les identités meurtrières.
Notre itinéraire a élu, sans idée préconçue, la route des thés, Curepipe, Trou aux cerfs, Triolet, Tamarins, Trou aux biches, la Pointe des lascars. Puis les gorges de la Rivière Noire. Où l’on devine les scènes qui ont eu pour cadre un tel décor.
Ici et là, le paysage semble marqué, jusqu’à la fin des temps, de cris d’hommes et de femmes qui refusaient de se soumettre et qui se sont battus pour garder leur dignité.
Nous avons laissé à notre itinéraire la liberté de choisir la route qu’il voulait nous faire prendre. La route serpente parfois. Et grimpe. Lorsqu’elle ne longe pas une côte rarement tourmentée. L’âme, comme les yeux, se reposent. Tout est invitation à la rencontre avec soi. Maurice est un raccourci. L’île est un miroir où vos pensées profondes prennent forme et vous interrogent.
Nous avons trouvé Pamplemousses sur notre chemin. Et ses jardins où la nature se met en quatre pour offrirau visiteur ce qu’elle recèle de meilleur.Mais partout, à Maurice, on se croirait dans un paradis tel que le décrivent les saintes écritures. Les couleurs et les formes, des oiseaux comme celles des plantes, sont d’une étourdissante beauté.
Port Louis, en revanche, la capitale de ce modeste empire, n’a rien pour emporter l’adhésion. Elle a laissé à d’autres lieux de l’île le soin de convaincre que Maurice a des arguments pour séduire le visiteur. Ici, les urbanistes ont dû être contrariés, ils n’ont pas été à l’œuvre comme ils l’auraient souhaité. Se peut-il qu’ils aient bâclé ce qu’ils devaient entreprendre ?
On se force à trouver du charme à Port Louis. Mais en vain. La capitale, où les habitants courent en tous sens, n’a rien pour retenir le visiteur. Mais on ne se hâte pas de quitter cette ville. Car le mélange des cultures et des langues, le chatoiement des couleurs et des accents vous retiennent.
On comprend que des hommes, venus des quatre coins du monde, ont touché terre un jour et n’aient plus eu envie de repartir. A Port Louis, comme ailleurs, les hommes font des affaires, dans une paix de tous les instants.
Des temples, des mosquées, des églises… Chacun y met du sien, comme pour éviter aux gens de l’autre bord de se sentir un peu trop seuls. L’île affirme inlassablement que rien ne lui fera céder un pouce de ses croyances. De sa foi en l’homme.
D’une pureté cristalline, à toutes les heures du jour, la lumière éclaire le chemin des gens humbles de cette île. Voilà ce qu’on note très vite.
Maurice est une île en paix. Chaque jour, la lumière tombée du ciel, semble vouloir célébrer une terre qui réunit, sans en tirer aucune gloire, des êtres venus d’horizons différents.
Une terre où des hommes ont surmonté des épreuves et su se réconcilier, pour vivre ensemble, si bon nombre d’entre eux, emmenés là de force, ne furent d’abord pas des hommes libres.
J’essaie d’imaginer ce qu’étaient ces terres, à l’arrivée des Portugais, des Hollandais puis des Français avant que les Anglais ne triomphent sur ce bout d’île.
J’en suis venu, ici, à me poser de nombreuses fois une question qui ne me quitte plus. Qu’est-ce qui fait que des gens n’arrivent -n’arrivent plus- à vivre ensemble ? D’où vient leur discorde
Ne sommes-nous pas d’un seul horizon ? Il n’y a pas des mais un seul horizon. Un seul et même horizon ouvert sur de nombreuses terres ? Ne sommes-nous pas d’un seul et même ciel ? La voix de mon double est venue me dire, comme pour me consoler, que c’est là, dans ce toit du monde, que j’aime à débusquer, comme un chercheur d’or, mes racines.
Maurice est à l’aube d’une nouvelle naissance. J’ai senti cela, en sillonnant Maurice. Mais qu’importe ? Rien n’est à craindre. Car les hommes y sont libres, si leurs ancêtres ne l’étaient pas. Les uns étaient les otages de leur puissance et de leur force et les autres, des otages soumis au bon vouloir des premiers. Il n’y a pas que le pire à attendre de nos contemporains et du monde que nous bâtissons.
*Kebir Ammi est essayiste, dramaturge et romancier, il vit en France. Ses romans sont parus chez Gallimard et Mercure de France. Son dernier roman Ben Aïcha est publié chez Mémoire d’encrier.