La brise a des secrets à te dire
« Ne te rendors pas » de ChrySultana, aux éditions Thot, 2022, 138 pages.
« Ne te rendors pas » est un vers emprunté à Rumi, c’est le grand mystique qui dit : À l’aube, la brise a des secrets à te dire/Ne te rendors pas. ChrySultana en a fait le titre de son roman. Et elle a eu raison. Car il y a quelque chose de mystique dans ce livre. À commencer par le souffle tendu et fraternel qui porte cette histoire bouleversante.
L’héroïne et narratrice est une femme de notre temps qui ne cesse de voir, dans ses rêves tourmentés, une silhouette au visage effacé. Avec l’aide d’un thérapeute, elle plonge dans sa plus ancienne mémoire et découvre une femme mystérieuse, nommée Marguerite, qui l’attendait. « Un déferlement d’émotions finit par me faire chavirer », écrit-elle. Marguerite lui raconte sa vie. « Un travelling de vingt-deux ans depuis ce jour de mariage de1923 qui présageait joie et bonheur pour mes ancêtres à 1945 au lendemain de la Libération ».
La vie de Marguerite est en effet tout sauf un fleuve tranquille. Elle est d’abord la proie d’un homme qui profite de son immaturité et de son jeune âge. Il la séduit, l’épouse et sera longtemps une énigme. Puis en septembre 1940, pendant l’Occupation, elle découvre le vrai visage de son mari, qui voulait l’enfermer dans un rôle de délatrice au service des Allemands. Bouleversée, elle décide de mettre fin à ses jours. Elle se jette dans l’Isère. Mais un jeune sergent marocain, la sauve. Il s’appelle Ben Lahcen et il s’est évadé d’un train en partance pour l’Allemagne.
Elle s’appellera désormais Johara, grâce à son sauveur. Elle s’entraînera pour se former aux dures épreuves qui l’attendent quand elle servira la résistance. Elle marche, fait du vélo…
Après un mois d’exercices, aux côtés de celui qui devient son amant, elle est fin prête. Elle sert la résistance. En janvier 1942, elle est à Paris, comme aide soignante puis infirmière. Elle s’infiltrera dans les milieux allemands.
Un an plus tard, elle retrouve son sauveur et apprend que son mari « a été exécuté par un membre des Francs-tireurs et partisans ».
À la libération, son sauveur n’aura qu’une hâte: servir fin pays qu’il veut voir libre et prospère. « L’exil était devenu une prison dans laquelle il se désintégrait. Seul le chant nostalgique d’un Maroc aimé pouvait adoucir sa réclusion. Il nourrissait ses rêves d’espoir, celui qu’un jour son pays puisse s’affranchir et s’émanciper ».
La narratrice finira par comprendre le mystère de la réincarnation de Marguerite et pourquoi son père lui a donné le prénom de cette grande-tante, cette femme libre et courageuse, que tout le monde croyait morte noyée dans une rivière. « En la baptisant Marguerite, il lui confiait son arbre de vie. Elle est devenue la dépositaire de son histoire, la légataire de sa mémoire».
La narratrice sortira, nous dit-elle, « épuisée, laminée, par sa rencontre avec son aïeule ». Mais son histoire était « comme un don qui allait dans les jours suivants influencer mon quotidien et induire mes choix ».
Ses jours comme ses nuits, à partir de là, deviendront paisibles. Elle posera une pierre commémorative au nom de Marguerite-Johara et se dirigera vers le Maroc où son aïeule s’était rendue pour -peut-être- retrouver l’homme qui l’avait sauvée.
Il y a dans ce roman à deux voix un murmure qui fait du bien et cela est porté de bout en bout par une écriture saisissante, efficace et sans fioritures.
Par Kebir Mustapha Ammi