Militante depuis son plus jeune âge, Hafida Bachir est actuellement secrétaire politique de Vie Féminine, un des plus importants mouvements féministes belges. La lutte pour les droits des femmes et, partant, de la famille, constituent son lot quotidien. Pour BledNews, elle répond aux questions au lendemain de l’avènement du nouveau gouvernement et nous éclaire sur les réalités de la communauté marocaine féminine en Belgique.
BledNews : La Belgique a une nouvelle composition gouvernementale. Pour une militante des droits des femmes et de la famille, elle répond à certaines de vos attentes?
Hafida Bachir : Nous avons effectivement un nouveau gouvernement en Région de Bruxelles-Capitale. Il faut distinguer la composition de ce gouvernement, qui reste encore fort peu représentatif des femmes (2 femmes secrétaires d’Etat et 1 seule Ministre) et la politique qu’il s’est engagé à mener pour les cinq prochaines années. Dans ses notes d’orientations, il a clairement annoncé sa volonté de garantir les droits des femmes dans différents domaines de la vie, dans le respect des instruments internationaux ratifiés par la Belgique. Il s’engage également à inclure une perspective de genre dans toutes les politiques menées et dégager les ressources financières nécessaires. Durant cette législature, les organisations de femmes ne manqueront pas de rappeler que ces engagements doivent se traduire dans les faits à travers des mesures concrètes.
. La Belgique reste un des pays où l’égalité hommes-femmes est la plus respectée, à en croire les différents classements internationaux. Vous partagez cet avis?
. La Belgique a de bonnes lois et l’égalité entre les hommes et les femmes est un principe fondamental de la constitution du pays. Néanmoins, l’égalité dans les faits n’est toujours pas au rendez-vous. Il subsiste des inégalités flagrantes dans différents domaines (économique, social, culturel, politique…). Ces dernières années, les politiques d’austérité menées en Europe ont également aggravé la situation des femmes et éloigné certaines d’entre elles de leurs droits les plus fondamentaux.
. Les lois contre la violence à l’égard des femmes sont-elles avancées suffisamment?
. Récemment, une coalition d’organisations de femmes a réalisé un rapport pour évaluer l’application de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence domestique à l’égard des femmes (dite Convention d’Istanbul). Notre conclusion est que la Belgique ne respecte que 20% des recommandations de ce texte contraignant. Cela veut dire qu’il reste encore du chemin pour que les violences contre les femmes deviennent enfin une priorité comme l’est aujourd’hui la question climatique. En 2019, en Belgique, des femmes continuent à être tuées parce qu’elles sont femmes. C’est tout simplement inadmissible !
. Vous travaillez beaucoup avec les populations émigrées, et la marocaine est une des plus importantes en Belgique. Quels sont les principaux problèmes que vous y rencontrez?
. Les problèmes des femmes de l’immigration restent d’abord identiques à ceux rencontrés par les femmes belges : violences conjugales, manque d’autonomie financière, non- paiement de pensions alimentaires, difficultés de se loger, d’avoir une place d’accueil pour son enfant… Par ailleurs, les femmes migrantes rencontrent des problèmes spécifiques liés à leur statut personnel (mariage, divorce, héritage…). Sans oublier la situation dramatique des femmes sans titre de séjour qui sont de plus en plus nombreuses à vivre sur le sol belge. Sans papiers, elles se retrouvent dans des situations d’exploitation et de violences (elles sont nombreuses à travailler dans des circuits informels de travail). Rajoutons à ces problèmes celui du contexte de la montée du racisme qui touche aujourd’hui de nombreux pays européens.
. Les choses se sont-elles améliorées ces dernières années avec la nouvelle moudawana?
Vie Féminine avait fait un travail considérable autour de la répudiation des femmes marocaines vivant en Belgique. Nous avions réussi à modifier la législation belge pour que la répudiation ne soit pas reconnue comme une forme de divorce, En parallèle, les changements survenus au Maroc autour de la Moudawana étaient les bienvenus car ils ont ouvert des nouvelles perspectives pour les femmes marocaines d’ici. Nous avions évidemment réalisé un travail d’information et de sensibilisation pour que les femmes tirent un maximum profit de ces changements les concernant.
. Avez-vous entrepris des contacts avec les responsables marocains pour tenter de faire avancer les choses au sein de ces populations?
. Nous l’avions fait sur la répudiation à l’époque et nous constatons qu’il serait intéressant, aujourd’hui, de faire un bilan quant à l’impact de ces changements sur les femmes. D’autant plus que le nombre de divorces a considérablement augmenté ici en Belgique. Par ailleurs, un autre enjeu devient clé pour les femmes marocaines vivant en Belgique, c’est celui de l’héritage.
. Le Maroc est secoué ces dernières semaines par des affaires de viol qui ont largement été reprises au niveau de la toile. Avez-vous un avis à ce propos?
. Aujourd’hui, grâce notamment aux réseaux sociaux, plus personne ne peut nier ces violences terribles contre les femmes. Mais cela ne suffit pas. Les responsables politiques compétentes et les institutions (ex : police, Justice, etc) ne peuvent plus rester au balcon. Une politique efficace et ambitieuse de lutte contre les viols doit agir à 3 niveaux : la prévention (dont la formation des acteurs institutionnels), la protection des victimes et la poursuite des auteurs. Cela demande une politique coordonnée et des budgets importants.
Entretien réalisé par Amale DAOUD