Culture

“Ainsi parlait ma mère” de Rachid Benzine

Une ode aux mères de la première génération des migrants marocains en Europe.

Dans son premier roman “Ainsi parlait ma mère”, l’écrivain et politologue franco-marocain, Rachid Benzine, raconte une histoire émouvante qui rend hommage aux sacrifices d’une mère et à travers elle à toutes les mères de la première génération des migrants marocains en Europe.

 

Dans cette fiction, qui rencontre un franc succès depuis sa sortie le 2 janvier, Benzine donne la voix au narrateur, universitaire de 54 ans, pour se livrer à la première personne à des confidences touchantes sur une relation très intime avec sa génitrice, femme illettrée qui débarque en Europe avec son époux lors de la première vague des migrations marocaines vers le vieux continent au milieu des années 50.

Il s’agit d’une relation exceptionnelle avec la mère, désormais âgée de 93 ans, contrainte, après le décès de son époux dans un accident de travail, de jouer le double rôle de mère et de père pour subvenir aux besoins de ses cinq enfants, leur assurer une bonne éducation et leur offrir une vie décente dans une société belge, à l’époque hostile aux étrangers.

Remuant les fins fonds de ses souvenirs, le narrateur revient sur plusieurs épisodes, gravés à jamais dans sa mémoire, de ses rapports avec sa “momie” comme il aime l’appeler après que l’âge et les maladies lui ont ravi tout éclat, une femme qui a bravé les difficultés et les obstacles de la langue et les stéréotypes sociaux pour se frayer une place au sein de la société et guider ses enfants vers le port du salut.

A travers ces personnages, l’auteur met en lumière les difficultés d’intégration, l’humiliation et le regard hautain de la société belge envers une femme, d’origine paysanne et analphabète, qui éprouve énormément de difficultés pour communiquer avec son entourage dans la langue de Molière, mais qui n’a jamais jeté l’éponge devant tant de souffrances.

Le roman voyage avec le lecteur à travers des épisodes, certains émouvants et d’autres anecdotiques, du quotidien du narrateur avec sa mère, qui s’est retrouvée seule après que chacun de ses enfants a quitté le foyer familial pour se construire sa propre vie, mais qui après la détérioration de son état de santé n’a trouvé refuge que dans la bienveillance de son fils, le dernier de la fratrie qui a décidé de vouer sa vie à prendre soin de sa maman chérie.

Dans un élan de reconnaissance pour les sacrifices de sa mère, il renonce ainsi au mariage, à avoir des enfants, aux amitiés et à mener une vie que tout autre jeune homme de sa génération aurait souhaité avoir, pour être au chevet de manière permanence d’une maman exceptionnelle, dont la sagesse et la profondeur philosophique ne cessent de le surprendre et de l’éblouir, en dépit de son âge avancé. Mais il est toujours hanté par la peur de la voir partir à jamais.

Le narrateur revient aussi sur l’amour de cette mère pour la chanson française, mais surtout sur sa fascination par le roman “La peau de chagrin”, d’Honoré de Balzac, qu’à force d’écouter sur les différents supports, étant illettrée, et plus particulièrement par les lectures de son fils, est parvenue à apprendre de mémoire.

A travers cette histoire, Benzine rend hommage à une mère, et à travers elle, à toutes ces mères d’origine marocaine, qui pour une raison ou une autre, se sont vues dans l’obligation de quitter leurs villes, leurs villages et leurs patelins au Maroc, à la recherche d’une vie meilleure.

Une femme qui représente dignement la lutte inlassable de toute une génération de mères marocaines en Europe désireuses d’offrir à leurs familles des conditions de vie digne dans un contexte culturel, linguistique, social et économique, à l’époque, peu enclin à accepter les étrangers.

“Nos mères font figure de symbole fort dans nos vies, elles sont source d’enseignement et nous accompagnent dans nos chemins”, déclare Rachid Benzine à la MAP, qui veut aussi souligner par cette formule que “nos mères ont leur propre façon de parler, même quand elles ne maîtrisent pas les codes de la société où elles sont amenées à vivre, comme c’est le cas pour la mère de mon roman”.

Et pourtant, cette mère a habité ce monde qui n’était pas le sien, loin de toutes ses références, avec ses propres outils: par la chanson, étant fan de Sacha Distel et sa fascination pour “La Peau de chagrin”, relève-t-il, notant que cette maman prend ainsi possession de ce pays où elle vit par la musique et la joie, par la littérature et ses émotions.

“Elle est là, par sa façon de parler, et c’était important pour moi de montrer que même si on ne partage pas les mêmes moyens, on trouve toujours sa façon d’habiter le monde: cette mère en est la preuve”, affirme Rachid Benzine.cLa première génération d’immigrés a vécu de nombreuses humiliations, discriminations et souffert de quolibets, parce qu’elle ne maîtrisait pas la langue du pays d’accueil et n’en partageait pas ses codes, rappelle Rachid Benzine. Mais la mère du narrateur a su surmonter tout cela, parce que son objectif c’était d’offrir une meilleure vie et la réussite à ses enfants.

La mère du roman est une femme joyeuse, qui ne s’est jamais laissée limiter par son analphabétisme, représentant une forme de résilience chez cette génération qui “manque à celles d’aujourd’hui, qui restent comme bloquées sur ces humiliations subies par leurs aïeux”, regrette-t-il.

“Ainsi parlait ma mère” (91 pages), paru le 2 janvier aux éditions du Seuil, est le premier roman de Rachid Benzine. L’ouvrage vient enrichir la bibliothèque de ce politologue, islamologue et chercheur associé au Fonds Paul Ricoeur (Paris).

Rachid Benzine a écrit notamment “Lettres à Nour” (2019), “Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir? (2016), “Le “Coran expliqué aux jeunes” (2013) et “La République, l’Eglise et l’islam, une révolution française” (2016).

Par Idriss TEKKI/MAP

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