Dans cet entretien, Souad Talsi MBE, fondatrice et chef executive de Al-Hasaniya Moroccan Women’s Centre-London de Grande-Bretagne explique les tenants et aboutissants de la célébration «Celebrating life » que l’association a organisé ce lundi 23 mai. Un beau message d’espoir et du Vivre-ensemble.
BledNews : Cette célébration est plutôt triste. Pouvez-vous nous rappeler en deux mot de quoi il s’agit et surtout nous expliquer pourquoi Al Hasaniya est directement concernée au point de célébrer cette date?
Souad Talsi : Exactement. Comme le dit Shakespeare dans la citation ci-dessus, il est important de garder ouverte cette porte de l’espoir, de la réconciliation, de la coexistence, du pardon, sans OUBLIER d’agir et de faire prévaloir la justice. L’enfer de Grenfell a été une terrible tragédie où plus de 72 personnes ont perdu la vie et d’innombrables autres ont été traumatisées. Qu’ils aient vécu dans la tour et aient survécu à l’incendie, parents de ceux qui ont péri ou simplement vécu à proximité de la tour ; tout le monde a été affecté de la manière la plus inimaginable possible.
Al-Hasaniya se trouve à quelques minutes à pied de la tour Grenfell et comme il s’agit d’une zone avec une importante communauté marocaine, nous connaissions tous ceux qui ont perdu la vie. Nous avons été impliqués dès le premier jour; en fait, deux de nos employés étaient là dès que l’incendie s’est déclaré. C’était au milieu du ramadan, et beaucoup étaient debout pour faire leur sohoor. Nous avons immédiatement ouvert les portes du centre de visites pour permettre l’intimité de ceux qui se trouvaient dans la rue, tandis que l’autorité locale essayait frénétiquement de trouver des logements alternatifs pour ceux qui étaient dehors dans les rues. Il n’y avait pas que des familles marocaines, la tour comptait plus de 600 locataires. Notre action a été rapide et vigoureuse. Nous avons soutenu les personnes endeuillées et organisé le plaidoyer et le soutien aux survivants. Nous restons extrêmement impliqués et faisons partie du Grenfell Recovery Service pour soulager les symptômes de traumatisme des personnes associées à l’incendie en proposant un club du samedi aux mamans et aux enfants pour faire des activités et en organisant des séances de psychothérapie en arabe pour les personnes exceptionnellement et gravement traumatisées.Notre Centre a été un point focal dès le premier jour, prônant la réconciliation et non les représailles. Il est important de garder à l’esprit la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire. Les membres de notre conseil local, tant les conseillers que le personnel, ont toujours bien travaillé avec nous, et nous ne voyons aucune raison d’animosité. C’est une tragédie qui aurait pu se produire n’importe où à mon avis, et nous devons garder l’esprit ouvert et attendre que l’enquête se termine. L’erreur humaine ou la négligence totale prévaudront et jusqu’à ce que l’enquête soit complètement terminée, nous continuerons à soutenir tous ceux qui sont impliqués dans l’esprit réconciliateur du Maroc tel que nous le connaissons !
- C’est une célébration du Vivre-Ensemble en définitive. Pensez-vous que nous puissions en parler en 2022? Y a-t-il une véritable cohabitation?
S .T : Absolument, je pense que la pandémie a pleinement démontré l’importance de la solidarité, du travail ensemble et du soutien mutuel, et nulle part cet esprit d’unité n’a été aussi puissant qu’ici à Londres. Diverses communautés se sont réunies en une seule et nous nous sommes assurés, en tant que nation ici au Royaume-Uni, que l’isolement n’était pas la solitude.Nous continuons à travailler ensemble. Nous sommes tellement privilégiés d’être dans un pays qui accueille la diversité et un pays où l’identité multiple n’est pas une loyauté divisée. Nous ne sommes ni marocains, ni britanniques, nous sommes les deux à la fois, nous appuyant sur les deux cultures pour nous assurer de continuer à vivre dans une société cohésive et pacifique.Le maire de Londres est d’origine pakistanaise et de confession musulmane et, plus récemment, j’ai eu l’honneur d’assister en personne à la nomination officielle du lord-maire de Westminster, qui n’est pas seulement le plus jeune jamais nommé dans l’histoire de la ville de Westminster, mais aussi musulman et d’origine marocaine.Que ce soit au niveau local ou au niveau national, la diversité dans la représentation est très visible car elle est au centre, le classement professionnel, les médecins, les ingénieurs, les cadres d’avocats, les boulangers, etc. Ici au Royaume-Uni, elle est totalement basée sur la méritocratie et non sur la couleur ou la religion comme on peut le voir en France par exemple. Cela ne signifie PAS que nous sommes totalement exempts de haine ou même de racisme. Il serait insensé de supposer que nous sommes une nation parfaitement et politiquement correcte. Mais le travail avance, et nous sommes certainement meilleurs que de nombreux pays européens.
Qu’est-ce que vous souhaiteriez faire passer comme message aujourd’hui?
S .T : Mon message est clair : la réconciliation, travailler ensemble et avoir une conscience dans tout ce que nous faisons est sacro-saint dans une société progressiste. En tant que fille d’un immigré qui a quitté Oujda en 1968 pour chercher une vie meilleure pour ses enfants, mon père m’a toujours mis en garde contre la vague de “mensonges” et a insisté pour que nous restions des penseurs indépendants quel qu’en soit le prix, traitons les gens dignement et équitablement, quelle que soit leur richesse, leur nom ou leur classe sociale et c’est un message que je voudrais transmettre à mes compatriotes marocains au Maroc. Ne regardez pas le nom pour aider, regardez la capacité, les compétences et l’individu, travaillez ensemble pour le bien du pays. Si nous nous soutenons, nous serons TOUS soutenus. La diaspora marocaine a fait des progrès incroyables au cours des 60 dernières années dans son pays d’adoption, traitez-la bien tout au long de l’année, pas seulement l’été pendant la saison “Marhaba”, travaillez avec nous car le potentiel est colossal et rapportera des avantages certains pour toutes les personnes concernées. Nous avons vu des ministres aller et venir avec d’innombrables nouveaux projets, mais ceux-ci restent sur le papier, dans les nouvelles ou même des accords entre les municipalités et le CCME ou d’autres ont succombé au même sort appelé les “archives”. Je suis sur le point de fêter mes 62 ans et j’ai travaillé dur et sans relâche pour soutenir à la fois ma communauté ici à Londres et au-delà et soutenir mon pays natal le Maroc depuis l’âge de 16 ans, et en tant que membre nommé du CCME, le voyage a été un privilège et j’espère avoir réussi à faire une différence dans la vie de ceux qui ont croisé ma route.
Propos recueillis par Amale DAOUD