« Aucun modèle de développement n’est possible sans nouvelle pyramide des partages ». C’est l’idée principale que défend le livre de l’économiste et consultant en Intelligence économique et politiques publiques, Abdelghani Youmni. Dans ce livre il explique comment l’universalisme libéral et la décomposition de l’Etat providence ont permis aux oligarchies et aux rentiers de privatiser la pauvreté et d’opposer peuple et gouvernants. Voici un entretien à l’occasion de la sortie de son livre « Le Maroc et ses riverains méditerranéens » paru chez L’Harmattan.
BledNews : Dans votre livre, vous expliquez que le creusement des inégalités entre certains pays de sud et de l’Est de la méditerranée, durant les trois dernières décennies, est de plus en plus grand. Pourquoi?
. A. Youmni : Le creusement des inégalités n’est qu’une des conséquences des nombreux fossés économiques et financiers entre les citoyens de cette région et des fragilités structurelles de leurs finances publiques. Dans ces pays, les réformes structurelles sociales et économiques n’ont pas été taillées selon la formule du prêt à porter et sans tenir compte de la transition démographique qui a fait que plus d’1/3 de la population des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée est jeune et âgée de 15 à 35 ans.
Comment lutter alors contre ce phénomène ?
. Ce phénomène n’est pas régional mais c’est une cause de l’universalisme libéral qui privatise la pauvreté et crée de nouvelles couches sociales aisées, connectées, rentières de la connaissance ou des avantages de l’oligarchie et sans lien avec le bien commun et l’esprit du partage social. Comment lutter, repenser le design du capitalisme du marché pour plus d’Etat dans les secteurs de l’apprentissage, de l’éducation, de la santé et pour plus de régulation du commerce extérieur.
. Le creusement des inégalités, pose des problèmes économiques mais aussi des problèmes démocratiques lorsque les gens riches prennent une place disproportionnée dans le processus de décision. Quelle est la solution pour éviter ces dérives ?
. Mon livre défend l’idée qu’aucun nouveau modèle économique n’est possible sans une nouvelle pyramide des partages. La question démocratique est centrale, la démocratie ne peut être singulière mais plurielle et elle ne doit pas non plus être l’otage du communautarisme religieux ou ethnique. Les riches doivent être les défenseurs des solidarités nationales et des pauvres pour éviter révolutions et faillites des nations. Le partage de la connaissance est irréversible, il appellera au partage des richesses et l’ensemble conduira au partage du pouvoir. Les riches de cette région doivent investir dans la formation d’une classe politique dirigeante compétente et altruiste qui permettra de transformer les sociétés et d’éviter l’embrasement et peut- être la naissance de nouveaux absolutismes.
. Les soulèvements dits du Printemps arabe sont une conséquence directe de ces politiques publiques. Les problèmes sont loin d’être résolus pourtant….
. A l’exception de deux ou trois pays de la région, aucun régime de cette région ne pratique les concepts des politiques publiques et aucun non plus ne procède à des évaluations de politiques publiques. Effectivement, les révolutions sociales par effet domino de 2011 et celles actuellement en Irak, au Liban, en Algérie et à venir, projets de gouvernement par le glaive de l’Islam politique ou manifestations sans leaders sont tous en train de nous signifier et en temps réel le grand décalage dans les pays arabes de cette région de l’Est et de la Méditerranée entre les peuples, les régimes et les gouvernements (l’absolutisme par le trilemme). Entre le temps politique, le temps social, le temps économique et le temps administratif.
Propos recueillis par Mohamed Kamel
