Chroniques

La fachosphère, l’immigration et Hassan II.

Désormais, chaque vendredi, Blednews publiera REPÈRES, Une nouvelle chronique hebdomadaire de Driss Ajbali. À travers une plume libre et engagée, Ajbali interroge notre époque, ses fractures, ses espoirs et ses dérives. Entre analyse sociale, réflexion identitaire et regard citoyen, REPÈRES a l’ambition d’être un espace de production de sens dans le tumulte et le brouhaha généralisés.

Sociologue de l’immigration et auteur de Éric Zemmour, un outrage français, Driss Ajbali revient ici sur la tribune de Pascal Praud publié dimanche dernier dans Le Journal du Dimanche, où celui-ci cite Feu le Roi Hassan II le mobilisant pour illustrer un propos sur l’immigration. Ajbali, outre le corriger, replace ces paroles dans leur véritable contexte et interroge leur instrumentalisation médiatique actuelle. Dans cette chronique, Ajbali démonte, précise et remet les pendules à l’heure.

 Figure proéminente et omniprésente de la galaxie Bolloré, la droitarde, la conquérante et la monothématique, Pascal Praud, esbroufeur chevronné, est devenu un puissant mégaphone de la xénophobie la plus sordide même s’il ne cesse de s’en défendre avec cynisme, culot et farfadet. Lui, l’ancien journaliste sportif, n’ignore rien de l’art du drible, de la feinte et de l’esquive. Il est devenu un homme-orchestre du paysage médiatique français. A sa connaissance sportive, il y a lieu d’ajouter une bonne culture cinématographique, une expertise dans la chansonnette d’antan, ses madeleines de Proust et, faut-il le reconnaitre, une jolie plume. Stakhanoviste, il enchaine, chaque jour, trois heures de télévision, une heure et demi de radio et le samedi, il trouve le temps de pondre une chronique dans Le Journal du Dimanche, dit le JDD qui appartient au même groupe où les journalistes, obéissants, se repassent les plats sur l’Islam, l’immigration et l’insécurité. Pour cela, Bolloré signe, annuellement, un chèque avec 7 chiffres faisant de Pascal Praud l’un des animateurs les mieux payés de France. J’ai bien dit animateur. Il trône, avec un sympathique sourire mais néanmoins carnassier, sur une agora où le débat cède le pas au combat et au pugilat feint. Le journaliste a, quant à lui, troqué son âme, laissant au vestiaire les outils du journalisme dont la rigueur et la vérification restent les plus inviolables.

Dans le JDD du 1 juin 2025, Pascal Praud s’est fendu d’un papier, La loi du nombre, sur les Musulmans en France trop nombreux. A l’appui de sa démonstration, il convoque des déclarations de Hassan II mêlées, dans un même élan, à une citation, qu’on dit apocryphe, du Général De Gaulle et une autre de l’historien britannique Arnold Toynbee : « En histoire, il y a trois règles fondamentales : la première c’est le nombre ; la seconde, c’est le nombre, la troisième c’est le nombre ». Avant que le Praud d’ajouter « le nombre, le nombre, le nombre, le nombre n’est-ce pas là une autre définition du grand remplacement ».

Peu scrupuleux et copiste, il n’a pas eu besoin de citer Éric Zemmour qu’il a, pour l’occasion, dépouillé. Et dans son empressement, Pascal Praud commet, non pas une erreur, mais une faute journalistique. Les déclarations rapportées de Hassan II sont authentiques. Elles furent tenues devant Anne Sinclair, dans la mythique émission de 7 sur 7. Cet épisode n’a pas eu lieu comme le prétend Pascal Praud, en 1989.  Elle date du 16 mai 1993.

Hassan II et la télévision

Dans les années 1996, la radio fut longtemps l’outil privilégié des leaders et nationalistes arabes, particulièrement avec la création du transistor qui pouvait transporter à travers les ondes l’actualité et les messages jusqu’aux recoins les plus reculés. Hassan II, lui, fut surtout un homme de télé tant il avait cette prodigieuse capacité de charmer la caméra. Il avait très tôt saisi la puissance de l’image, et sans avoir besoin de ce que les politiques appellent aujourd’hui un « media trainer ».

Parce que Hassan II était l’habit et l’habilité, l’élégance et l’éloquence, il liait, de manière soignée et avec grâce, la tradition la plus conservatrice avec la modernité la plus désarmante. Et parce qu’homme de grande culture, il livrait, avec un brio, ses avis servis par une langue de Molière enlevée, comme peu de chefs d’État purent ou pourraient le faire. Son aisance était désarmante face à des journalistes qui, le plus souvent, se délectaient de ses « punchlines », comme on ne le disait pas à l’époque.

Vingt-six ans après sa mort, Hassan II demeure une figure marquante. Pour les Marocains d’abord. Sur YouTube ou Tik Tok, les extraits de ses discours, de ses conférences de presse ou de ses passages dans des émissions télévisées sont visionnées par millions. Ces archives font, sur différents sujets, le buzz et sont devenus cultissimes. En France aussi. Dans le spectre politique, ce sont les plus identitaires et la francosphère qui le citent à tout va et l’instrumentalisent allégrement. Ses interventions sur l’immigration et l’intégration sont reprises à satiété, plébiscitées et recyclées par l’extrême-droite dans son offensive contre l’immigration.

Hassan II et la télévision française.

En 1980, Hassan II recevait dans son palais l’émission Face au Public. Il y avait, à cette occasion, cinq journalistes[1]représentants respectivement une chaîne télé, une radio, un hebdomadaire, un grand quotidien, et un journal régional. Tous les sujets du moment sont abordés avec le souverain : le Moyen-Orient, l’Iran, l’Afghanistan, le Sahara marocain…tout sauf le sujet de l’immigration. A l’époque, le sujet n’était pas encore d’actualité. Et puis plus rien.

Il faudra attendre la fameuse affaire du foulard de Creil, en 1989. La télévision française va découvrir en Hassan II un nouvel oracle. Il sera depuis régulièrement invité, par la télévision française, à de grandes émissions politiques de premier plan. Depuis lors, le sujet de l’immigration sera avec lui, à chaque fois, à l’ordre du jour.

Et pour cause, Leila et Fatima Achaboun, les deux sœurs de nationalité marocaine, furent partie du trio de jeunes filles qui a enflammé l’automne depuis la rentrée scolaire de 1989. Après une longue obstination obtuse, elles décident, le 2 décembre 1989, de rejoindre la classe en annoncent, au principal, leurs décisions d’ôter leurs foulards. Le père des adolescentes, muré dans le silence, refusa, à l’époque, de donner la moindre explication à ce revirement. La consigne de silence fut, parait-il, donnée par les autorités marocaines. Une recommandation de Hassan II, commandeur des croyants, ne saurait être discutée. L’un des derniers actes de Youssef Tâarji Belabbès, l’ambassadeur marocain à Paris, fut de faire parvenir l’injonction royale à la famille Achaboun.

Conforme à ses dires et en toute cohérence, Hassan II a toujours plaidé pour que ses sujets aillent une certaine discrétion dans les pays d’accueil, la France tout particulièrement. L’intervention du Maroc fut décisive dans l’affaire du Foulard. Brusquement et rapidement, Hassan II, qui en France, clivait entre ses nombreux thuriféraires et ses contempteurs, tout aussi nombreux, rentra dans les petits papiers des médias français. Avec cette affaire du foulard, ajoutée à l’affaire de Rushdie, Hassan II, avec sa double fonction de Roi et de commandeur des croyants, devint, comme par magie, un bonclient des médias français. Un symbole de sagesse, un repère et « un père » comme il dira de lui-même, le 17 décembre 1989, lorsqu’il sera l’invité de marque de l’émission l’Heure de vérité, un temple où « la politique se déguste avec majesté ».

L’Heure de vérité, un programme de la chaîne de télévision française Antenne 2[2], fut une puissante émission, lancée en 1982. Jusqu’à sa disparition en 1995, elle avait dominé, au temps de sa splendeur, le verbe politique. Elle fut le passage obligé, pour tous les fauves politiques qui aspiraient inhaler le rare oxygène des hautes cimes du pouvoir. L’endroit où il fallait être. Les anglo-saxons disent « The place to be ». Elle fut, entre autres, le puissant tremplin qui catapulta, de manière irréversible, la carrière de Jean Marie le Pen.

Créée et présentée par François-Henri de Virieu[3], ce programme avait, selon un chargé de communication de François Mitterrand, un rituel qui avait un côté corrida. « Dès le générique, l’hôte est transformé en un taureau amené dans l’arène par le matador » C’est vrai que la musique du générique, composée par Paul McCartney et les Wings, laissait penser à un thriller ou un film de James Bond.

L’invité de l’émission est soumis pendant une heure aux questions de trois journalistes : Alain Duhamel[4], Albert du Roy et Jean-Marie Colombani[5]. Ce dernier était parfois remplacé par un autre journaliste[6]. De plus, c’est la première émission qui eut recours à l’interactivité. Les téléspectateurs étaient invités, grâce au minitel, à réagir en direct. Un sondage est réalisé au fil de l’émission. « C’était fascinant » se souvient le sondeur Jérôme Jaffré[7]. Très vite, l’émission s’est installée et devint courue. Et ça se bousculait.

Avec l’invitation de Hassan II, outre le contenu, il y avait la forme. Ce qui était fascinant, ce sont les deux très rares singularités de l’émission du 17 décembre 1989. Ce n’est pas Hassan II qui est venu sur le plateau de l’émission. C’est le plateau, avec armes bagages, caméras, journalistes et invités, qui s’était déplacé chez Hassan II, dans son palais à Rabat. La seconde observation, sous réserve de vérification, il n’y a pas, dans les archives du moins, la trace d’un seul chef d’État étranger qui fut invité à ce programme en dehors du Monarque marocain. Remarque subsidiaire, sur le site de l’INA[8], l’émission de Hassan II est la plus visitée, avec 12 millions de vues. La seconde, celle de Le Pen, atteint à peine 1,6 millions. C’est dire.

A cette occasion, Le roi Hassan II confirma l’information qui, jusque-là, était dans l’air et circulait comme une rumeur. Il était bien intervenu, le 1er décembre, pour que les adolescentes marocaines abandonnent leur voile qui n’est, selon les photos, qu’il a pu voir qu’un simple fichu. « Quand je leur ai fait demander personnellement, en tant que père de famille, par l’intermédiaire de mon ambassadeur, de vouloir bien cesser toute cette affaire dont elles étaient à l’origine, sans le vouloir, elles ont parfaitement compris, et leurs parents aussi »

Depuis lors, plusieurs journalistes ont fait le déplacement à Rabat pour recueillir la parole royale.  Michel Cotta Pour TF1, le 21 Juillet 1991. Anne Sinclair, le 16 mai 1993. Alain Duhamel et Jean Luc Mano, le 2 mai 1996.

Par Driss Ajbali

[1] Émission diffusée le 1 mars 1980 avec Paul Balta pour Le Monde. Paul Nahon pour Antenne 2. Edouard Sabie pour France Inter, Roger Bouzina Nice-Matin et André Potard pour L’Express.

[2] France 2 aujourd’hui.

[3] François-Henri de Virieu, marquis de Virieu, est un journaliste français. Né le 18 décembre 1931 à Paris et mort le 27 octobre 1997.

[4] Alain Duhamel est un éditorialiste, journaliste politique et essayiste français.

[5] Jean-Marie Colombani est un journaliste et essayiste français. Il a été président du directoire du journal Le Monde et directeur de ce dernier de 1994 à 2007.

[6] Serge July, Michel Cardoze ou Christine Clerc

[7] Le magazine du Monde, le 29 mai 2015.

[8] Institut national de l’audiovisuel.

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