L’ADFM passe au crible les propositions du rapport. ce dernier est loin d’avoir satisfait les féministes. ” Nous considérons que la vision du développement telle qu’appréhendée par un rapport marqué par un tropisme masculin et par une grande frilosité ne nous concerne pas car ce n’est pas le Maroc que nous voulons pour les petites filles et jeunes femmes d’aujourd’hui et à l’horizon 2035″, déclare l’ADFM.
“Le nouveau modèle de développement proposé : Ce n’est pas le Maroc que nous voulons”: c’est le terme utilisé d’emblée par l’association féminine qui a décortiqué le rapport pour voir dans quelles mesures ses propositions répondent aux exigences d’une approche genre et surtout analyser si le modèle de société proposé correspond à celui pour lequel elle milite depuis plusieurs décennies.
L’Association déclare ainsi que “ayant pris connaissance des rapports présentés par la Commission spéciale sur le nouveau modèle développement (NMD), analysés sous le prisme des droits humains des femmes en faveur desquels nous avons lutté depuis plusieurs décennies, nous souhaitons,à l’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM),apporter par la présente déclaration, notre contribution préliminaire aux débats actuellement en cours.
Depuis le rapport du cinquantenaire de 2005, le Maroc a développé un savoir et une expérience non négligeables en termes de diagnostic de la situation du pays et de feuilles de route dans de nombreux secteurs. Or, le rapport fait table-rase d’un capital d’expériences permettant de montrer le chemin pour l’avènement d’un nouveau modèle de développement”. Un regard très critique donc que porte l’ADFM sur le rapport et l’approche qui a sous-tendu sa réalisation.
“Plutôt qu’un nouvel état des lieux, du reste, parcellaire et, dans certains cas, limité à des « appréciations » dépassées et/ou non fondées, le pays a surtout besoin de savoir pourquoi les différentes visions, stratégies et autres chantiers de réformes n’ont pas abouti ou tout simplement n’ont pas été mis en œuvre. C’est la réponse à ce questionnement central qui permet d’initier un processus vertueux et effectif en faveur du changement.
Le modèle de développement, tel que proposé par le rapport qui reste imprégné, pour l’essentiel, des théories de développement de la décennie 70, nous incite, en tant qu’association de défense des droits des femmes, à ce triple questionnement:
La croissance économique garantit- elle la résorption automatique des inégalités et en particulier celles de genre, notamment dans un pays comme le Maroc ?”, se demande l’association.
Elle pose ainsi plusieurs questions fondamentales:
– Le développement n’a-t-il pas pour finalité et chemin pour le concrétiser le renforcement des libertés individuelles et collectives et des capacités des citoyens et citoyennes leur permettant de lever les obstacles qui restreignent leurs possibilités d’agir et de participer?
– Un nouveau modèle de développement peut-il se concevoir sans déconstruction des discriminations fondées sur le genre,s’appuyant sur une analyse scientifique et objective et une approche holistique et transversale liant l’économique, le politique, le social et le culturel ?
Sur la base de ces questionnements, l’ADFM souhaite soulever quelques points relatifs au traitement consacré par le rapport à la « question féminine»:
En abordant la situation des femmes, le rapport puise dans une vision (ou terminologie) désuète qui fait d’elles une catégorie au même titre que les jeunes qui sont d’ailleurs des deux sexes. Or, les femmes ne sont ni une catégorie, ni un problème social sectoriel relevant du département de la famille, de l’enfance et des personnes handicapées comme c’est le cas depuis plusieurs décennies.
A l’opposé de la Constitution, le référentiel universaliste, et plus particulièrement la CEDAW- à laquelle le Maroc est partie-, est quasi absent du rapport, alors que la spécificité religieuse et culturelle est évoquée et convoquée à maintes reprises pour justifier l’anachronisme des mesures dédiées au « renforcement » des droits et libertés des femmes. La spécificité religieuse ne s’invite-t-elle dans les débats politiques que dès lors qu’il s’agit exclusivement des droits des femmes? Les autres secteurs de la vie économique et sociale sont-ils conformes aux préceptes religieux? N’ont-ils pas plongé depuis longtemps dans l’indistinction religieuse ?
Alors que l’appel à l’inclusion, à la citoyenneté et à une tolérance zéro à la discrimination et aux violences traverse le document :
– La mesure phare proposée par le rapport visant à porter le taux d’activité des femmes de 18% actuellement à 45 % à l’horizon de 2035 passe sous silence les mécanismes complexes d’exclusion et de résistance à l’œuvre qui font que le Maroc, qui était champion de la région en matière de participation économique des femmes, se retrouve en 2020, selon le Forum économique mondial, au 148 ème rang bien après l’Egypte, la Tunisie ou encore l’Algérie.
– Le rapport ne dit rien sur les moyens de lutter contre la pauvreté des femmes rurales travaillant, dans leur écrasante majorité, sans rémunération ni accès aux filets de sécurité sociale à titre de droits propres, ni à la terre ni aux moyens de production, au moment où la législation successorale, celle relative aux terres collectives et au Habous de famille les discriminent quand elles ne les excluent pas tout simplement de leurs droits. Que préconise le rapport pour ces centaines de milliers de Marocaines parmi les plus pauvres?
– Il passe sous silence les différentes formes de discrimination de genre en matière successorale, le maintien du mariage des mineures et de la polygamie alors que l’écrasante majorité des femmes, tous niveaux éducatifs et sociaux confondus, considèrent que ces dispositions constituent une grande source d’insécurité pour elles et pour leurs enfants et portent atteinte à leur dignité et citoyenneté.
– Le rapport propose de confier au juge la possibilité d’examiner au cas par cas, l’autorisation ou non du taasib ? N’est-ce pas là une préconisation, pour le moins incongrue, qui prévoit des règles différentes pour les citoyennes selon leurs capacités à ester en justice, contribue à engorger les tribunaux de famille, ouvre la porte aux dérives et à la corruption et exacerbe les conflits familiaux ?
Alors que l’on s’attendait à des solutions plus courageuses en conformité avec l’égalité et la justice:
– Les mesures préconisées sont marquées du sceau de l’anachronisme et largement en deçà de celles avancées, durant les dernières années, par plusieurs institutions constitutionnelles comme le CNDH, le CESE ou encore la HACA.
– De nombreuses zones grises persistent dans le rapport qui se contente, pour ce qui concerne les droits des femmes, de proposer des mesures ayant fait leur temps.
– Les vrais problèmes politiques et sociétaux sont tus et non abordés faisant de telle sorte que les Marocaines et les Marocains finissent par perdre confiance car ils constatent que leur citoyenneté fait, encore une fois, l’objet de compromis et compromissions.
– Une vision globale cohérente et prospective d’un nouveau modèle de développement ne devrait pas maintenir des zones grises. Elle se doit de se doter du courage et de la responsabilité de nommer les choses telles qu’elles sont et de proposer des solutions structurantes et audacieuses aux multiples injustices et inégalités en conformité avec les directives royales à l’occasion de l’installation de la Commission en charge d’élaborer le NMD.
Avec ce rapport, l’occurrence d’un nouveau modèle de développement sera peut-être pour le prochain siècle! Quant à nous à l’ADFM, nous considérons que la vision du développement telle qu’appréhendée par un rapport marqué par un tropisme masculin et par une grande frilosité ne nous concerne pas car ce n’est pas le Maroc que nous voulons pour les petites filles et jeunes femmes d’aujourd’hui et à l’horizon 2035. Dans un monde en plein bouleversements, avec de telles préconisations, les Marocaines seront encore à l’horizon 2035 sous tutelle et soumises au diktat du code de la famille, aux privations, aux violences et autres restrictions sur leur liberté et mobilité ainsi que sur leur capacité à faire les choix requis concernant leur vie personnelle et citoyenne.
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