La violoniste franco-marocaine,anime depuis trois ans, El Akademia Masterclass,un programme éducatif et culturel, créé pour répondre au problème d’apprentissage de la musique au Maroc
BM Magazine : Monia, c’est avant tout la passion du violon… un instrument, j’allais presque dire, pas comme les autres…
Monia Rizkallah: J’ai remarqué cet instrument à sept ans, lors d’une émission télévisée de musique classique. Il m’a paru à ma taille, contrairement aux imposants violoncelle et contrebasse. J’ai ressenti une familiarité avec le violon dès mes premières leçons ; il était si facile à tenir, déjà expressif grâce à mon professeur, Mme Vallée. Lors de mon premier morceau public, j’ai eu l’impression d’entrer dans « la cour des grands ». Depuis, j’ai toujours eu un violon avec moi, et celui sur lequel je joue actuellement est un merveilleux et fidèle compagnon. Ma relation avec le violon est physique. Les notes vibrent sous les doigts et dans le haut du corps. Le violon ne pardonne rien. Il est un baromètre de la santé et de l’état d’esprit.
Vous êtes issue de l’immigration marocaine, un exemple de très belle réussite. Si on vous demandait s’il y a eu dans votre carrière des obstacles liés à vos origines, que répondriez-vous ?
Dans la carrière d’un musicien, comparable à celle d’un sportif de haut niveau, seule la méritocratie compte. Notre métier est difficile, la concurrence est dure, mais le meilleur gagne lors des concours, indépendamment de sa nationalité. Ma double culture orientale et occidentale est un plus, une richesse. Je lui dois en partie ma force et ma sensibilité, et je suis aujourd’hui si heureuse de pouvoir représenter le pays de mes origines dans les orchestres du festival de Bayreuth ou dans le World Orchestra for Peace. Ce dernier réuni plus de 40 nations, dont le Maroc !
Vous évoluez dans un cercle que je dirais assez fermé, puisqu’il s’agit d’opéras à travers le monde. Parlez-nous de votre brillante carrière.
Intégrer l’opéra de Berlin a été la réalisation d’un rêve, car il est vrai que les places y sont chères, mais aussi la concrétisation d’années de travail. J’ai débuté mon parcours à Bordeaux, ma ville natale, puis au conservatoire de Paris dont je suis sortie avec les premiers prix de violon et de musique de chambre. À force de concours, qui m’ont notamment permis d’obtenir des bourses, je me suis perfectionnée à Varsovie et à l’université de Berlin avant de décrocher le poste clé de chef d’attaque à l’opéra de Berlin. Je participe depuis à de nombreux festivals internationaux. Des tournées me mènent partout dans le monde, et je travaille avec de grands chefs d’orchestre et chanteurs d’opéra. Je continue passionnément à apprendre…
Vous avez également un beau projet sur le Maroc, El Akademia. De quoi s’agit-il exactement et comment est-il né ?
J’ai reçu de mes professeurs et maîtres un savoir précieux. Je devais perpétuer la transmission de cet héritage immatériel. Forte d’expériences de coaching et souhaitant me consacrer aux jeunes musiciens marocains, j’ai eu l’idée du projet El Akademia, concrétisé en 2017. El Akademia Masterclass est un programme de cours intensifs délivrés par des coaches allemands, complétés par des rencontres avec le public. Il constitue le maillon jusque-là inexistant au Maroc entre l’apprentissage académique délivré par les conservatoires et le perfectionnement indispensable pour intégrer de grands orchestres professionnels. Chaque année, El Akademia Masterclass rassemble une soixantaine de jeunes talents venus de tout le Maroc. Les masterclasses sont gratuites et, en 2019, une bourse d’études a été attribuée aux étudiants couvrant leurs frais de bouche et d’hébergement. En début d’année, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec la chancelière fédérale allemande, Mme Merkel, et j’aurai l’honneur de l’inviter à Fès pour le concert de clôture d’El Akademia 2020, où se produira l’Orchestre national des jeunes du Maroc (l’ONJM), formé à l’occasion.
Ce projet prouve que vos origines sont bien ancrées en vous. Le Maroc n’est donc pas un choix dû au hasard.
Tout à fait. Le Maroc est le pays de mes origines et j’y suis très attachée. Un de mes regrets est d’ailleurs de ne pas savoir m’exprimer avec aisance en arabe. Mes sœurs et moi-même n’avons pas appris l’arabe à l’école et nous parlions français à la maison. Aujourd’hui, je perpétue pour ma fille les traditions marocaines héritées de mes parents et grands-parents. Je partage aussi la culture marocaine avec mes amis, musiciens de Berlin et autres. Je suis très heureuse que les familles des coaches d’El Akademia les accompagnent lors des master classes pour découvrir les richesses du Maroc.
D’autres projets encore ?
Je suis convaincue que les ponts culturels entre l’Allemagne et le Maroc sont une chance. Aussi, je forme le vœu de pouvoir bientôt présenter l’ONJM au Young Orchestra Festival de Berlin, où se produisent les meilleurs orchestres de jeunes du monde. Ce sera rendre hommage à la très grande marque de confiance que nous portent Sa Majesté, le Roi Mohamed VI, et Son Altesse Royale, la Princesse Lalla Meriem, présidente d’honneur d’El Akademia Masterclass 2018 et 2019.
Entretien réalisé par Leila Amiri