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Les femmes du pavillon j : Rencontre avec le réalisateur Mohamed Nadif

Il revient avec un film qui met la lumière sur la condition féminine au  Maroc .

Andalousie mon amour (2012) et aujourd’hui Les femmes du pavillon J : dix ans après son premier long métrage, le réalisateur franco-marocain Mohamed Nadif revient avec un film qui met la lumière sur la condition féminine dans le Maroc d’aujourd’hui. A travers les parcours compliqués de 3 personnages féminins.

BN :  D’où vient l’idée de ce film ? Qu’est-ce qui vous a motivé à raconter cette histoire ?

Mohamed Nadif : L’idée du film m’a été soufflée par ma femme, Assma El Hadrami, coscénariste et actrice dans le film. La dépression nerveuse est un fléau qui touche beaucoup de familles au Maroc et aussi dans le monde. Ô combien elle est rejetée, mal comprise voire tabou dans notre société. On a donc décidé d’en faire un film. Mais au-delà de la maladie, ce qui nous a intéressés c’est de présenter des portraits de femmes marocaines d’âges et de milieux sociaux différents, et de raconter leur histoire, l’expérience de leur amitié dans un lieu très particulier. Une amitié qui les aide à trouver la force pour surmonter leurs blessures et ainsi espérer retrouver goût à la vie. Mais si je creuse un peu, ce choix est né d’un constat, celui d’une société marocaine qui s’obstine à avancer sans ses femmes et qui donne l’impression qu’elle marche en boitant.

A-t-il été difficile à tourner ?

Certes. C’est un film à petit budget, tourné dans l’urgence, en quatre semaines. Mais on a pris le temps qu’il faut pour bien le préparer. Faire des répétitions avec les actrices, réécrire le scénario pour que le nombre de séquences rentre dans les 24 jours, faire un choix de lieux de tournages regroupés… Et puis, j’ai été entouré par une équipe technique et artistique formidable qui s’est donnée corps et âme dans cette aventure. C’était un tournage difficile, mais qui s’est déroulé dans une belle ambiance.

Pour ce qui est du ton de votre film, il navigue entre drame et comédie absurde. Comment êtes-vous parvenu à l’équilibre entre les deux?

J’ai déjà vécu cette expérience dans mon premier long-métrage « Andalousie, mon amour ! ». Parler de choses grave, mais avec légèreté. C’est vrai que les histoires de ces femmes sont tragiques. Il fallait des moments drôles, comme les escapades nocturnes, pour aérer le film et faire respirer le spectateur.  Rire du malheur c’est dans notre culture marocaine. Ce qui m’a aidé aussi à trouver cet équilibre entre drame et légèreté que vous évoquez, c’est que pendant le développement du scénario, je tirais vers la comédie tandis qu’Assma, ma coscénariste tirait vers le drame ;  l’un tempérait l’autre. Il ne faut pas oublier enfin que le talent des actrices œuvra pour beaucoup dans le sens de la nuance.

Qu’espérez-vous transmettre à travers ce film ?

Le film parle de beaucoup de choses à la fois. L’important pour moi, c’est de bien raconter l’histoire de ces femmes. Et à travers celle-ci chaque spectateur perçoit les choses suivant sa disposition et son niveau socio-culturel. Le film relate, entre autres, la perte d’une personne chère, l’inceste, la trahison quand elle vient de personnes très proches, (ici une mère). Mais comme je l’ai dit déjà, il y est question surtout d’une amitié forte qui se tisse entre des femmes et leur permet de retrouver joie et espoir dans l’avenir. D’ailleurs, le personnage d’Amal dit: ” Toi toute seule, tu n’y peux rien, mais ensemble, on peut soulever les montagnes.”

Quels thèmes vous inspirent en tant que créateur ?

Beaucoup de choses m’intéressent et m’inspirent en tant que créateur. La situation de la femme dans notre société, par exemple. Et comme dit Jean-Luc Godard : « Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout ». Mais le plus important est comment élaborer une histoire originale, inspirante, qui fera un film. Certains sujets ou certaines histoires surgissent au hasard d’une lecture, d’un évènement, ou tout simplement d’une rencontre. Une inspiration qui vous donne envie d’entrer dans un long processus artistique, qui devient obsessionnel jusqu’à ce que vous en fassiez un film.

Quel regard portez-vous sur le cinéma marocain ?

Personne ne peut nier que le cinéma marocain a connu une émergence depuis presque vingt ans. Un soutien de l’Etat très important, une production abondante, des films de grande qualité, une diversité et une présence dans les plus grands festivals comme par exemple Cannes cette année avec le film de Meryam Touzani, Le Bleu du Caftan, dans la section un Certain regard. Nous avons aussi un grand festival international à Marrakech, et le Maroc est une grande destination de tournage des productions internationales. Mais il reste encore beaucoup à faire pour parler d’une vraie industrie cinématographique marocaine. Le maillon manquant est la diffusion et la promotion à l’échelle nationale et internationale. Le manque de salles dans la majorité des villes marocaines. Ce qui explique cette contradiction entre les coûts de la production cinématographique et la faible capacité d’amortissement du marché national. Le manque aussi de diffuseurs et vendeurs à l’international. Pour commencer, on peut cibler deux marchés proches, le monde arabe et l’Europe. Et puis élargir à l’international. Curieusement, les films marocains qui voyagent s’inscrivent dans le cadre de coproductions internationales, surtout avec des pays francophones. Plusieurs beaux projets marocains se contentent de l’aide à la production du Centre cinématographique marocain alors que la coproduction internationale est une chance pour la création d’un film. Elle associe les apports financiers et créatifs, le partage des risques et l’élargissement du marché de diffusion.

Quels sont vos projets à venir ?

Pour l’instant, je suis sur deux  long-métrages : « Un été à Boujad » d’Omar Mouldouira, en tant que producteur. C’est un film sur un adolescent de treize ans qui a quitté définitivement Paris avec son père pour retourner au Maroc, à Boujad. Une histoire sur les identités et la quête de soi. Quant au second, il s’agit de mon troisième long-métrage, « L’héritier des secrets », un scénario coécrit avec Olivier Coussemacq, d’après « In’itâq ar-raghba » (Désir émancipé), un roman de l’écrivaine marocaine Fatiha Morchid. Je profite de l’occasion pour remercier la commission du fonds d’aide du CCM, présidée par Mme Ghita El Khayat, pour leur soutien important. Le projet est actuellement en financement et sera produit par Awman Productions (Maroc), In Vivo Films (France) et Objectif 9 (Canada).

Filmographie

La Jeune Femme et l’ascenseur (2005),

La Jeune Femme et l’instit (2007)

La Jeune Femme et l’école (2009),

Andalousie, mon amour (2012).

 Les Femmes du Pavillon J sorti en 2019, est son second long métrage.

 

Propos recueillis par : Mohamed Kamal

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