Bouchra Abdou, directrice de l’association ATEC (Association Tahadi pour l’Egalité et la Citoyenneté) s’intéresse de près à la problématique du harcèlement numérique. L’Association est sur le front de la lutte contre ce nouveau fléau. Elle a répondu à nos questions.
- BledNews: Question : pourquoi choisir de s’attaquer aux violences numériques. Qu’est ce qui justifie ce choix?
- Bouchra Abdou: En 2016, le centre d’écoute de l’Association Tahadi pour l’Egalité et la Citoyenneté a reçu les premiers cas de femmes victimes des violences numériques et depuis, les cas se sont succédés enregistrant un accroissement au niveau quantitatif mais également en terme de la gravité et des répercussions sur la victime.
Dans le même contexte, selon une étude mené par le HCP, près de 1,5 million de femmes sont victimes de violences électroniques au moyen de courriels électroniques, d’appels téléphoniques, de SMS, etc.
En 2019, l’ATEC a contribuée aux cotés de sept autres associations à l’élaboration d’une recherche action chapeautée par l’organisation Mobilising for Rights Associates (MRA) sur les violences faites aux femmes facilitées par les technologies au Maroc. Cette étude a montré que Plus de 50% des utilisatrices ont été victimes de cyber-violences au moins une fois dans leur vie et que ces attaques sont principalement à caractère sexuel. Elle nous a fait savoir également que la plupart des femmes préfèrent le silence à l’issue d’une violence et qu’une femme sur 10 seulement informe les pouvoirs publics de la violence subie
D’autre part, cette étude a été l’occasion pour nous, d’aller chercher à comprendre le phénomène au cœur des établissements scolaires, dans les rangs des femmes, au sein des groupes de professionnels : forces de l’ordre, avocats, psychologues, juristes…etc. Au-delà de ses résultats et conclusions, qui ont été, d’ailleurs, publiés et fait l’objet de larges débats dans les médias nationaux, cette recherche-action nous a mis devant l’ampleur effrayante du phénomène. A vrai dire, nous avons pris conscience de cette nouvelle arme fatale que les misogynes et les ennemies de la liberté et de l’égalité n’hésitent pas à utiliser, comme si ce n’était pas assez, pour aggraver les souffrances des femmes, déjà durement affectée par la précarité et la vulnérabilité, visant à les acculer, les pousser au silence et les tenir cloitrées, ce qui conduit inévitablement à plus de disparités dans la relation entre les hommes et les femmes et aux inégalités, et donc à plus de violences et de dénigrement à leur égard.
Dans ce contexte assez délicat, l’ATEC a décidé de réagir à travers son projet « Stop à la violence numérique … » consacré exclusivement à la lutte contre les violences numériques basées sur le genre, à la sensibilisation à leurs dangers et au soutien de leurs victimes.
- Blednews: Comment réagissent les autorités par apport à ça ? Est-ce qu’il y a une protection juridique Est-ce qu’il y a des plans d’action
- Bouchra Abdou: Quiconque connait l’ATEC et sa vision, sait pertinemment que nous refusant l’attitude nihiliste, et on tend toujours à faire prévaloir l’objectivité dans tout jugement, pourtant cela ne nous empêche pas de dire sans le moindre remord, que ce que font les autorités dans le domaine de la lutte contre les violences à l’égard des femmes, toutes formes comprises (campagnes de sensibilisation, rapports sur l’état des lieux, documentations ici et là sur la dite stratégie nationale…), reste médiocre, saisonnier et démontre, malheureusement, que la lutte contre ces violences ne constitue pas une priorité pour ce gouvernement. En ce qui concerne, les violences numériques, c’est encore pire. À part quelques mentions à travers des dispositions éparses dans la loi 103-13, on n’a pratiquement rien. Dernièrement le ministère a publié un guide pour protéger les enfants sur internet, mais aucune mention aux violences faites aux femmes.
Lors de sa dernière étude sur les violences numériques à l’égard des femmes, l’ATEC a consacré une grande partie à ce volet: On a procédé à une typologie des actes de violence numérique, et on a relu les dispositions et les textes légaux, notamment la loi103-13 et la loi pénale de manière à montrer si ces actes sont couverts ou non, les lacunes et les faiblesses constatées, et des propositions de lois pour y remédier.
D’autre part, déjà, durant la première phase du confinement sanitaire, lorsqu’un groupe de jeunes filles a été victime de cyber-violences et de sextorsion, l’ATEC en dénonçant ces actes odieux, elle n’a pas manqué de faire le rapprochement entre la manière rapide et efficace, dont les autorités ont répondu à la cybercriminalité survenue lors de la crise de Coronavirus, qui a tenté de remettre en cause la réalité du virus, de provoquer la sédition et d’entraver l’effort national pour contenir la crise, et celle dont elles réagissent aux violences perpétrées à l’égard des femmes, sachant que les autorités sécuritaires disposent des ressources humaines qualifiées et des équipements techniques nécessaires, l’expérience l’a clairement montré, ce qui prouve que la lutte contre les violences numériques faites aux femmes, est une question de volonté politique et de priorités, choses qui semblent inexistantes pour le moment.
- BedNews: Quelles sont les tranches d’âge, parmi les femmes, les plus affectés par ces violences.
- Bouchra Abdou:C’est une question qui a été traité par l’étude publiée dernièrement par l’ATEC, et contrairement à ce que l’on peut croire, les violences numériques à l’égard des femmes ne sont pas liées à un âge ou à un statut social spécifique, elles touchent les femmes de toutes les tranches d’âge. Cependant, Il semble qu’elles ciblent avec plus d’acuité les adolescentes et les jeunes femmes. En effet, le pourcentage de victimes des violences numériques de cette tranche d’âge atteint 75% constitué en grande partie des élèves et des étudiantes.
De même que le niveau d’éducation des femmes, aussi élevé soit-il, ne les protège pas des violences numériques. Plus que cela, il semble que l’une des caractéristiques les plus marquantes des violences numériques, est que ces dernières ciblent généralement, des femmes instruites et même parfois, des cadres supérieures. Ce que l’on peut expliquer, par le fait que cette catégorie de femmes est plus susceptible d’utiliser les TIC, en particulier les Smartphones et c’est la catégorie la plus vulnérable à l’extorsion.
- BledNews: Qu’est qu’on doit faire ? Quelles sont vos revendications ?
- Bouchra Abdou: Notre revendication fondamentale reste une loi spécifique relative aux violences faites aux femmes qui protège, réprime, prévoit et répare les préjudices avec un livre spécial consacré exclusivement aux violences numériques.
Cependant, l’ATEC a couronné son étude sur les violences numériques par un ensemble de recommandations, relatives aux politiques publiques et à l’arsenal législatif et d’autres qui concernent les opérateurs dans le domaine du numérique.
- Considérer la violence numérique comme une forme de violence qui porte préjudice aux femmes et la société
- Les violences et les violences numériques basées sur le genre constituent une affaire publique. Toutes les mesures doivent ainsi être prises pour les combattre.
- Mettre en œuvre les textes juridiques condamnant les violences numériques d’une manière qui préserve la dignité des femmes, et tenir compte des amendements proposés à ce sujet.
- Simplifier les procédures et les processus juridiques encourageant le recourt judiciaire des femmes victimes des violences numériques et accorder la gratuité aux services qui leur sont rendus à ce titre.
- Créer des bureaux de conseils, d’orientation et de soutien dans les différents arrondissements, districts locaux et les dispensaires de proximité afin d’informer les femmes sur leurs droits et les procédures pour garantir l’accès à l’information et à la justice.
- Intégrer dans les programmes d’enseignement destinés aux élèves de l’éducation primaire, des sessions pédagogiques de sensibilisation sur la manière de gérer internet, ses dangers pour les jeunes.
- Créer des espaces numériques mobiles et permanents de formation dans le domaine du numérique au profit des différentes catégories sociales.
D’autre part, l’étude comprend un benchmarking à travers lequel, l’ATEC a cherché à consulter les expériences d’autres pays et les bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre les violences numériques à l’égard des femmes que nous recommandons de prendre en compte dans notre combat contre ce fléau.
Propos recueillis par Leila Amiri