Chroniques

Le 115, bd. Saint-Michel.

Noureddine Bousfiha

Le 115, bd. Saint-Michel  reste pour tout étudiant marocain un lieu d’émotions et de souvenirs.  Il fut aussi une tribune pour les Tunisiens et les Algériens.

Le 115, bd. Saint-Michel (le Musulman tout simplement) reste pour tout étudiant marocain un lieu d’émotions et de souvenirs. Je n’y allais pas souvent, le rituel était pesant. Je lui préférais le resto U de Concordia, beaucoup plus intime, avec un menu équilibré et de la salade en rab. Néanmoins, c’est au 115 qu’on pouvait être au parfum de tout ce qui se passait au Maroc. On prenait la juste mesure des choses et on se forgeait son opinion. On consentait à l’évidence ou à la bévue, à l’équité ou à la brutalité, fût-ce dans les silences intérieurs. On était jeunes, et notre sagesse nous paraissait austère. Dans la salle des réunions, les échanges étaient souvent houleux au niveau des discours et des représentations. Les ténors savaient donner de la gorge. Les divergences fleuraient bon entre ceux qui étaient pour les thèses d’ Ila Amam ou pour celles du 23 mars dont la pomme de discorde était la question du Sahara. De l’aveu de certains militants, un parti politique marocain (sans le nommer) offrait des bourses d’études à Moscou. Le 115 avait eu son âge d’or dans les années 50. Il fut aussi une tribune pour les Tunisiens et les Algériens.
Ce qui me dérangeait sensiblement à cette époque de formation, c’étaient les raisonnements aporétiques qui sourdaient des assemblées générales, lesquelles pouvaient s’éterniser. On brassait le vide et on se promettait de changer le monde. Au demeurant, il y avait place pour l’emportement, l’enthousiasme, l’illusion et la faiblesse de croire à la possibilité d’une grâce. Certains militants attendaient de comprendre pour agir. D’autres avaient choisi leur but une fois pour toutes. Puis la question des prisonniers politiques au Maroc avait surgi comme une épiphanie. Des comités de lutte s’étaient formés pour dénoncer les arrestations arbitraires, la torture, les incarcérations sans jugement, et demander la libération de Abdellatif Lâabi, arrêté et emprisonné en 1973. Les réunions dans les caves de la Revue Esprit, coiffées par Gislain Ripault faisaient écho à une campagne internationale dès 1980. D’autres prisonniers politiques n’avaient eu la même mobilisation en France comme Abdessamad Belkébir que j’ai connu plus tard à la Faculté des lettres de Marrakech. Mon collègue n’a jamais su qu’une cohorte d’étudiants avait engagé une grève de la faim dans les locaux de l’Ambassade du Maroc en sa faveur.
Aujourd’hui, tous les ptérosaures et les ptéranodons ont replié leurs ailes. Certains ont tourné casaque, d’autres ne crachaient plus le même feu, se sont accommodés du système ou rentrés dans les rangs.
Le 115 ne sera plus qu’une nébuleuse pour toute une génération de militants purs et durs, un parfum volatile. Il nous rappelle cependant que tout ce qui fut a été, et donc forcément n’est plus. Il paraît que tout se passe désormais dans la conscience claire.

Aujourd’hui, tous les ptérosaures et les ptéranodons ont replié leurs ailes. Certains ont tourné casaque, d’autres ne crachaient plus le même feu, se sont accommodés du système ou rentrés dans les rangs.

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