
Rédigée dans le cadre du rite malékite, la fatwa des oulémas sur la zakat définit avec précision les biens concernés, les montants exigibles, le moment où cette aumône devient obligatoire et les catégories de bénéficiaires éligibles. Les voici.
La Fatwa rappelle d’abord que la Zakat est l’un des cinq piliers de l’islam. Elle représente une aumône obligatoire destinée à purifier les biens, à renforcer la solidarité entre les fidèles et à réduire les inégalités sociales.
Le texte précise que la Zakat devient obligatoire dès que la richesse d’un individu atteint un seuil déterminé, appelé nissab, et que cette richesse est conservée pendant une année lunaire complète (al-hawl).
Elle traduit ainsi la reconnaissance du droit des pauvres sur les biens des riches, conformément à la parole coranique : « Prélève de leurs biens une aumône par laquelle tu les purifies et les bénis. » (Sourate At-Tawbah, verset 103).
Voici la Fatwa du Conseil Supérieur des Oulémas sur la Zakat
- Les biens soumis à la Zakat,
- Les montants et seuils imposables,
- Le moment où elle devient exigible,
- Les bénéficiaires légitimes.
1. Les biens concernés élargis à l’économie moderne
La grande innovation de cette Fatwa est d’avoir adapté la Zakat à l’économie diversifiée du Maroc d’aujourd’hui, sans se limiter aux formes classiques de richesse (céréales, bétail, or, argent). Elle englobe désormais six grands ensembles de biens :
a) L’agriculture : La Zakat s’applique à toutes les productions agricoles destinées à la vente, y compris les fruits, légumes, plantes aromatiques, médicinales, fleurs, semences et produits dérivés. Si la culture est irriguée naturellement, le taux est de 10%. Si elle requiert des frais d’irrigation, le taux est de 5%. Le seuil (nissab) est fixé à cinq awsaq, soit environ 653 kg de récolte. Il est également possible de s’acquitter de cette Zakat en espèces, selon la valeur marchande au moment de la récolte.
b) Les ressources forestières et maritimes : Les produits issus des forêts (bois, champignons) et de la pêche maritime ou fluviale sont aussi concernés. La Zakat s’y calcule sur la valeur marchande dès que le nissab or/argent est atteint, au taux de 2,5%.
c) L’élevage : Les troupeaux traditionnels (chameaux, bovins, ovins, caprins) restent soumis à la Zakat selon les seuils établis par la jurisprudence malékite. La Fatwa y ajoute désormais les activités d’élevage à vocation commerciale : chevaux, volailles, lapins, abeilles (production de miel) ou autres animaux destinés au commerce, sur la base de leur valeur nette.
d) Le commerce : Tous les biens, marchandises, actions, devises et produits d’entreprises commerciales sont concernés. Le taux est de 2,5% sur la valeur nette annuelle après déduction des dettes exigibles, salaires, loyers et impôts dus avant la date de prélèvement.
e) L’industrie : La Fatwa inclut les activités industrielles : agroalimentaire, transformation, matériaux de construction, métallurgie, chimie, électronique, textile, cuir, imprimerie, énergie ou fabrication de mobilier. la Zakat s’applique sur la valeur des produits et des stocks, déduction faite des coûts de production.
f) Les services : Les revenus professionnels et salariaux du secteur public et privé entrent aussi dans le champ de la Zakat. Après déduction du salaire minimum (3.266 dirhams), le prélèvement de 2,5% s’applique sur la somme restante si elle atteint le nissab. Cette approche vise à protéger les bas revenus tout en assurant une participation équitable à la solidarité collective.
La Fatwa étend cette logique à tous les services générateurs de revenus : santé, éducation, énergie, télécommunications, banques, assurances, propriété intellectuelle, culture ou publicité.
2. Le nissab : seuil de déclenchement de la Zakat
Le nissab correspond à la richesse minimale à partir de laquelle la Zakat devient obligatoire. Deux références sont retenues :
- Or : 85 grammes → environ 68.000 dirhams (800 DH le gramme)
- Argent : 595 grammes → environ 7.438 dirhams (12 DH le gramme)
La Fatwa recommande d’adopter le nissab de l’argent comme base, car il permet d’élargir le nombre de fidèles concernés et donc de renforcer l’impact social de la Zakat. Chaque fidèle garde toutefois la liberté de choisir entre les deux références. Ainsi, toute personne disposant d’une somme équivalente ou supérieure au nissab, maintenue pendant une année lunaire complète, doit s’acquitter de la Zakat à un taux de 2,5 %.
3. Le moment de l’exigibilité
La Zakat doit être versée dès qu’elle devient due, sans retard injustifié.
- Pour les récoltes : au moment de la moisson ou de la cueillette.
- Pour le bétail : après une année complète de détention.
- Pour les revenus, épargnes et biens commerciaux : après une année lunaire complète.
- Pour les ressources minières : dès l’extraction, avec possibilité de différer le paiement sans dépasser un an.
4. Les bénéficiaires : une priorité aux plus pauvres
La Fatwa reprend les huit catégories mentionnées dans le Coran (Sourate At-Tawbah, verset 60), mais adapte leur application au contexte actuel : Les pauvres (al-fuqara’) et les nécessiteux (al-masâkîn); Les personnes endettées; Les voyageurs en détresse; Ceux qui œuvrent dans le sentier de Dieu (fî sabîl Allâh); Les causes d’utilité publique liées à la communauté.
Les trois autres catégories mentionnées dans le texte coranique — les collecteurs, ceux dont les cœurs sont à rallier et les esclaves à affranchir — ne s’appliquent plus dans le contexte actuel.
La Fatwa insiste sur le fait que la Zakat ne peut pas être versée à ceux dont la subsistance est déjà à la charge du donateur (parents, enfants mineurs, conjoint). De même, les biens personnels utilisés uniquement pour l’ornement (comme les bijoux) ne sont pas imposables, sauf s’ils sont vendus et que le produit atteint le nissab.
Les oulémas indiquent que cette Fatwa constitue une référence structurée pour les fidèles marocains. Elle unifie les pratiques, adapte les règles de la Zakat à la modernité économique, tout en maintenant la fidélité aux sources scripturaires et à la jurisprudence malékite. Elle répond ainsi à une double exigence :
⇒spirituelle, en rappelant la dimension de purification et de foi,
⇒sociale, en favorisant une redistribution juste et équitable des richesses.
En somme, cette Fatwa établit un cadre clair, inclusif et rigoureux, permettant à chacun de s’acquitter de la Zakat avec conscience, transparence et responsabilité — dans la continuité d’une tradition spirituelle vivante et profondément enracinée dans la société marocaine.
La zakat dans le secteur des services : ce qu’il faut retenir
La fatwa consacrée à la zakat introduit un développement majeur : l’intégration explicite de l’ensemble des activités de services dans le champ des biens soumis à la zakat. Cette évolution répond à la transformation profonde de l’économie, désormais dominée par les revenus salariaux, intellectuels, immatériels et liés aux services.
Qui est concerné ?
Toutes les professions et activités générant un revenu dans le secteur des services, notamment : Salariés du secteur public et privé; Professionnels de santé; Banques et assurances; Télécommunications; Études, consulting, expertise; Propriété intellectuelle : innovation, brevets; Marques commerciales; Droits d’auteur et de publication; Services juridiques : avocats, notaires, adouls; Fourniture d’électricité et autres énergies; Distribution d’eau; Traitement et gestion des déchets; Services culturels et artistiques; Publicité, médias; Divertissement et loisirs.
Cette liste n’est pas exhaustive et inclut toute activité rémunérée génératrice de revenu, sous réserve des règles de calcul détaillées ci-dessous.
Comment calcule-t-on la zakat sur les services ?
1) Condition du nissab
Les revenus doivent atteindre la valeur minimale imposable (nissab), fixée selon :
La valeur de 595 g d’argent → ≈ 7.438 DH
(ou 85 g d’or, ≈ 68.000 DH, au choix du fidèle)
Pour favoriser l’inclusion sociale, le Conseil recommande de retenir la référence de l’argent, plus accessible.
2) Déduction du minimum vital
Avant d’évaluer la zakat, on déduit des revenus un montant fixe correspondant au minimum vital.
→ Le Conseil a fixé ce seuil au salaire minimum légal en vigueur : 3.266 DH / mois.
Ce choix vise à offrir une référence objective et à protéger les titulaires de faibles revenus. Laisser chacun déterminer librement ses dépenses essentielles ouvrirait la voie à des estimations subjectives contraires à l’esprit d’équité.
3) Durée de détention (hawl)
Lorsque les revenus atteignent le nissab après déduction du minimum vital, la zakat devient obligatoire après l’écoulement d’une année lunaire. Elle peut être versée mensuellement ou annuellement, selon la possibilité du fidèle.
4) Taux appliqué
2,5 % (¼ de dixième) sur la base du revenu net annuel : Revenus – minimum vital – frais professionnels nécessaires
Les « frais nécessaires » incluent notamment :
- loyers de locaux professionnels
- charges administratives
- salaires des employés
- impôts échus avant la date de prélèvement
Exemple chiffré :
Salaire mensuel : 10.000 DH
Déduction du minimum vital :
→ 10.000 – 3.266 = 6.734 DH
→ Montant < nissab (7.438 DH) → pas de zakat mensuelle
Calcul annuel :
Revenu annuel brut : 120.000 DH
Minimum vital annuel : 3.266 × 12 = 39.192 DH
→ Revenu net imposable = 80.808 DH
→ Zakat = 2,5 % × 80.808 ≈ 2.020 DH
Zakat due : ~2.020 DH
En intégrant le secteur des services, la fatwa adapte la zakat à l’économie contemporaine, reconnaît des revenus immatériels (innovation, droits d’auteur, marques…), établit une règle objective protégeant les faibles revenus, élargit la base des contributeurs, accroît les ressources destinées aux ayants droit et sécurise les pratiques des fidèles grâce à un référentiel clair
En résumé : Toute activité de services générant des revenus est soumise à la zakat à hauteur de 2,5 %, dès lors que :
- le revenu net annuel atteint le nissab,
- après déduction du minimum vital et des charges nécessaires,
- et qu’un an lunaire s’est écoulé.
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