Entretien avec Loubaba Laalej : ” l’enrichissement interculturel est une évidence”
La Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Étranger organise l’exposition « Poésie et peinture » de l’artiste maroco-française Loubaba Laalej jusqu’au 14 décembre 2024 à l’Espace Rivages de Rabat.
Loubaba Laalej est une artiste peintre et écrivaine, née a Fés et résidant à Paris depuis 1956. Elle a développé une oeuvre artistique marquée par sa sensibilité à la culture arabe et à la tradition , tout en s’ouvrant aux influences modernes et contemporaines .
Quels sont les grands tournants de votre parcours artistique ?
Depuis mon adolescence, je sentais au plus profond de moi que j’étais artiste. Je ne me demandais ni pourquoi ni comment. C’était mon état d’être, cela et rien d’autre ! Une impression d’être plongée dans un bain magique. Le bain du rêve et de l’imaginaire. J’ai commencé à écrire et à peindre, naturellement, sans but. Je n’avais aucun projet. L’art me traversait et vivait en moi. Je ne le cultivais pas. J’entendais ses murmures. Peut-être voulais-je seulement changer le réel ? Transformer mon ennui en joie. L’art grandissait à mon insu tandis que je m’affairais à dépasser la banalité du train- train quotidien. Je me dépêtrais dans une angoisse existentielle. Le rêve naissait. Étapes multiples.
Quelle est La singularité de cette exposition à Rabat ?
Mon exposition « Poésie et Peinture » initié par la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Étrangersigne la marocanité dans l’universel, l’accueil et la générosité célébrissime de notre peuple, l’intérêt qui est porté à ceux qui ont émigré, l’’indéfectible lien qui subsiste entre l’artiste, son pays et le pays d’accueil, enfin la place des Marocains d’ailleurs dans le cœur des dirigeants. L’art est là pour sensibiliser, inspirer, communiquer et susciter des émotions et des sensations de part et d’autre. Cela a été la particularité de cette exposition qui embellira ma mémoire.
Poésie et peinture : quel rapport ?
La poésie comme la peinture explorent et suggèrent. Chacune signe le visible et l’invisible à sa manière. Leur rapport d’amour est plus subtil que n’importe quelle contradiction. Personnellement j’expérimente et vis leur harmonie. Pouvez-vous séparer la danse de la musique ? La sculpture de l’architecture ? Ces entités se côtoient pour le meilleur. Leur accouplement accentue l’harmonie et la complétude. Chaque art pourrait s’autosuffire cependant l’observateur se sentirait frustré sans savoir pourquoi.
L’apport des artistes résidant à l’étranger dans la création mondiale ?
L’enrichissement interculturel est une évidence. Chaque artiste apporte sa propre vision de son art et de l’art en général. Les regards se confrontent comme un défi d’aller au-delà de soi. Par leur expérience, ils reflètent la diversité du monde. Les artistes voyageurs ont toujours existé. Ils font comprendre l’art et la culture. Ils inspirent et apportent joie et légèreté dans le réel. Les réseaux sociaux facilitent leur tâche. Dans une société malade, ils dénoncent les distorsions, Ils accusent les dissonances. Ceux talentueux trouvent la renommée. Ils contribuent au savoir-faire et aux actions solidaires. Leur pouvoir est une meilleure connaissance de l’homme et la guérison des consciences.
Quelle est votre intention par rapport à votre série « Écrits et Oeuvres ?
Mon désir s’élance, traverse et se retrouve dans ces deux expressions différentes qui s’épousent et s’enrichissent mutuellement. Je réalise un travail de conscience où la richesse du verbe rejoint la force des couleurs et les porte vers le subtil. Plaisir de la vue et de l’imaginaire.
Résonances. L’œuvre se contemple et éveille l’âme. Les mots lyriques rejoignent par leurs sons la peinture. Ils l’enveloppent. L’observateur et le lecteur sont saisis par cet « imaginaire imaginé ». Le corps aime cette harmonie mélodieuse. De cette union naît une danse invisible qui défoule les émotions les plus enfouies. La liberté émerge complice entre l’observateur et l’observé.
La création au féminin, ses défis et ses enjeux ?
Depuis la préhistoire, la femme qu’elle soit artiste ou non a beaucoup galéré. L’artiste ne peut être dissociée de la femme : un même sort. Face à elle, un monde patriarcal dominé par le machisme et le sexisme. Un monde de préjugés et de violence. Obstacles, inégalités et discriminations.
Une parole volontairement étouffée. Pourtant le génie n’a pas de sexe comme je l’ai écrit dans mon recueil « Icones de la plasticité au féminin ». Le potentiel créatif non plus. La souffrance a créé des féminismes purs et durs. Des réalisations ont été faites mais l’idéal reste sur son piédestal. Les pères, les frères et certains maris nous accompagnent sur ce chemin périlleux qui conserve ses lobbies. Certaines artistes ont réalisé leur rêve et le monde les a consacrées. Le harcèlement est désormais dénoncé par les réseaux sociaux. Les portes s’ouvrent aux talents.
Votre regard sur la scène culturelle marocaine ?
Pour moi, de manière objective et sans discours creux, les choses bougent lentement et sûrement. Les artistes contemporains, toutes générations et styles confondus, sont plus nombreux. Les producteurs et les créateurs ne chôment plus. L’avenir de l’art au Maroc semble plus radieux et promoteur. Bien sûr, rien n’est parfait, des mécontentements subsistent. Des cris s’élèvent. Mais l’écriture, la peinture, le stylisme et d’autres champs créatifs se donnent à voir. J’aime imaginer l’espoir dans le cœur des artistes rêveurs qui sont considérés comme des porteurs de renouveau et des explorateurs. Les artistes individualisent et les savants généralisent.
Projets en cours.
Je viens de terminer mon livre le « Sacré et l’Art » ( Écrits et œuvres ) Et j’entame le « Génie et l’Art ». Actuellement, je suis dans le désir d’exposer mes tableaux accompagnant les poèmes de mon recueil fragmentaire « Melhoun et Peinture » pour l’année prochaine en vue de célébrer ce patrimoine immatériel qui est cher à la mémoire collective marocaine.
Un dernier mot :
Je tiens à remercier tous ceux qui soutiennent l’art et la culture. Une aubaine pour le patrimoine et pour la mémoire universelle, à l’exemple du Melhoun qui vient d’être inscrit au patrimoine mondial de L’UNESCO.Exporter son art, c’est faire persister les métiers séculaires tels que l’artisanat.La créativité est condamnée à renaître autrement. Cela développe une solidarité qui se passe de comparaison.
Hassan Souri