Driss Ajbali « Le journaliste en tant que professionnel, demeurera nécessaire et consubstantiel à l’exercice démocratique »

Après la parution d’une première édition, vite épuisée, la MAP vient d’éditer une seconde édition de l’ouvrage «Figures de la presse marocaine» de l’auteur Driss Ajbali, sociologue de formation et médiateur de l’agence de presse marocaine. Il se livre au jeu des questions-réponses.

BledNews : D’où est venue l’idée de ce livre ? Et pourquoi une seconde édition.

Ajbali Driss : Nommé médiateur de la MAP, mon premier souci fut d’être à la hauteur de cette innovation en particulier sur la manière de la décliner. Cette fonction, nouvelle dans l’organigramme de la MAP, s’inscrit dans le projet stratégique que l’Agence déploie depuis une dizaine d’années avec cette démarche, la MAP et le Maroc sont pionniers en Afrique et dans le monde arabe. C’est donc un challenge. Il ne suffisait pas donc d’être nommé, ce qui est un honneur en soi. La responsabilité, voire le défi c’est la visibilité, le contenu et le caractère opérationnel de la fonction. Vous mettez un médiateur, surtout dans un environnement comme le nôtre, s’il n’est pas sollicité, sa fonction serait vide de sens. Il faut donc trouver les moyens d’encourager, d’initier et d’habituer l’usager de l’Agence à user de son droit à l’interpellation. Avec le management, nous avons pensé que le meilleur moyen de favoriser cette interactivité, c’est de doter la fonction de médiateur d’un portail dédié. Nous avons travaillé sur un concept qui verra le jour très prochainement. Parmi les rubriques du Portail, nous avons considéré utile de dédier, à travers des portraits, un hommage à quelques figures du journalisme marocain. Intuitif, Khalil Hachimi Idrissi a tout de suite perçu l’intérêt de faire un livre. C’est tout simplement ainsi qu’a démarré le projet. Au fur à mesure, il prendra de l’ampleur avant de devenir pléthorique et, en même temps, passionnant.

. Comment expliquez-vous le succès de cet ouvrage ?

. J’étais très surpris par l’accueil, globalement favorable, rencontré par l’initiative. Beaucoup de journalistes ont mis avec enthousiasme leurs portraits sur leurs pages Facebook. On aurait dit qu’ils avaient reçu le prix Pulitzer. J’ai ressenti cela comme un besoin de reconnaissance. Et de ce point de vue, le livre est un écrin pour une galerie de miroirs, une galerie de glace. D’une certaine manière, le livre a la place qu’a le miroir dans le conte de Grimm, Blanche Neige.

Les journalistes parlent à tout le monde et sur tous les sujets. Ils signent leurs papiers. Ce n’est pas sans impact sur la dimension narcissique. Ils n’ont cependant, du moins dans notre pays, pas l’habitude qu’on parle d’eux. Sans compter que le journalisme est une fonction qui a un puissant capital symbolique. Et en même temps, le journaliste assiste, au Maroc, à une forme de délabrement du secteur, en tant que modèle économique, en particulier dans la presse papier. Les mutations technologiques sont violentes et peuvent aboutir à la disparition de tous ceux qui n’ont pas su s’adapter. Sachant que, si dans un avenir proche, le lecteur peut se passer totalement de la presse papier, le journaliste, lui en tant que professionnel, demeurera nécessaire et consubstantiel à l’exercice démocratique.

. On dit que c’est difficile d’écrire sur les journalistes.

. Non, ce n’est pas difficile. Je dirais plutôt que c’est risqué. C’est même, dans certains cas, de la nitroglycérine.  Je le subodorais. En faisant le pari de la subjectivité, manière de sortir de la langue de bois, je savais par avance que les quelques coups de canifs, rares cependant, donnés ici ou là, me vaudront, en retour, des coups de machettes. Je tiens à préciser que dans mon esprit, il n’y avait aucunement ni volonté de nuire ni intention d’ennoblir. Il s’agissait de restituer chacun, toutes proportions gardées, dans sa « vérité historique ». Ma grande satisfaction, c’est que nombreux sont les journalistes qui se sont reconnus dans le portrait ou dans le titre que je leur ai attribué. Cela caresse dans le sens du poil mon propre narcissisme dont je ne suis pas non plus dépourvu.  Il y a très peu de réactions négatives. Ici ou là, certains ont pris la toge de l’avocat pour faire un plaidoyer pour les absents. Pas plus.  Les gens du métier, les plus sérieux, ont souligné le caractère inédit de la démarche, l’apport du livre, surtout dans son introduction, dans l’édification d’une histoire du journalisme dans notre pays. La dimension didactique pour les étudiants, à l’université ou dans les écoles de journalisme.

. Quel constat avez-vous tiré de ce travail ?

. La toute première, c’est que personne ne pouvait faire ce travail, en particulier s’il est journaliste. Comme condition, il fallait ne pas appartenir au corps. Ne pas être un confrère. J’ai senti, justement, qu’il y a parfois très peu de fraternité entre les uns et les autres. Les gens ont la dent dure les uns sur les autres. Quand il s’agit d’échanger entre journalistes, la dague est l’arme préférée. Le recours au pamphlet est un exercice enivrant et surtout aveuglant.

A cela, il faut ajouter que la MAP est un endroit exceptionnellement propice pour un exercice de cette envergure. Et le faire en si peu temps (5 à six mois). La MAP est une belle machine et les rédactions m’ont été d’un grand apport. Il y a aussi lieu de noter que le confinement, enfermement oblige, fut aussi une condition propice et idéale pour un tel travail.

.  Quels sont vos challenges à venir ?

 . Faire en sorte que la fonction du médiateur soit opérationnelle. Pleinement. Il y a la traduction en langue arabe des figures de la presse marocaine. Il y aura la finalisation du Portail qui lui pourra toucher au-delà des frontières. Et puis, il y a pas mal de projets excitants auxquels on s’attèlera et que, vous le comprenez bien, je ne peux dévoiler ici.

Propos recueillis par Amine SAAD