Chroniques

Eloge de l’exil

Dans “la Conquête de l’Amérique”, livre publié en 1982, Todorov brosse un magnifique portrait de Bernardino de Sahagun, grammairien et linguiste, né en 1499 en Espagne. Sahagun arrive au Mexique en 1529 et apprend le nahuatl. «Ce fait est déjà en lui-même fort significatif, écrit Todorov. D’habitude, c’est le vaincu qui apprend la langue de son vainqueur. (…) On n’imagine pas Colon, ou Cortés, apprenant la langue de ceux qu’ils soumettent, et même Las Casa n’acquiert jamais la maîtrise d’une langue indigène ».
Sahagun apprend et maîtrise la langue nahuatl. Il devient professeur de grammaire et recrute ses étudiants parmi les fils de l’ancienne noblesse. Très rapidement, le niveau devient très élevé.
Vers 1540, soit à peine vingt ans après le siège de Mexico par Cortès, les nobles mexicains composent des vers héroïques latins !
Todorov poursuit : « En même temps qu’il introduit les jeunes Mexicains dans les subtilités de la grammaire latine, Sahagun profite lui-même de ce contact pour perfectionner sa connaissance de la langue et de la culture nahuatl ».
Todorov rappelle qu’un certain Geronimo Lopez a écrit à Charles Quint : « Il est bon qu’ils sachent le catéchisme mais savoir lire et écrire est aussi dangereux que d’approcher le diable ».
« Comment situer Sahagun dans la typologie à autrui ?, se demande Todorov. Sur le plan des jugements de valeur, il adhère à la doctrine chrétienne de l’égalité de tous les hommes ».
Sahagun écrit : « Ce qui est certain, c’est que tous ces gens sont nos frères, issus de la souche d’Adam comme nous-mêmes ; ils sont notre prochain que nous devons aimer comme nos personnes ».
J’ai le sentiment, en lisant ces lignes, que nous sommes tous des exilés sur terre. Exilés de naissance ou de vocation. Nous ne pouvons pas, me semble-t-il échapper à ce destin. Notre destin. Notre unique destin. Notre seule planche de salut.
«C’est l’exilé, écrit encore Todorov, qui incarne aujourd’hui le mieux, en le détournant de son sens originel, l’idéal de Hugues de Saint-Victor, que celui-ci formulait ainsi au douzième siècle : « l’homme qui trouve sa patrie douce n’est qu’un tendre débutant ; celui pour qui chaque sol est comme le sien propre est déjà fort ; mais celui-là seul est parfait pour qui le monde entier est comme un pays étranger ». (Moi qui suis un Bulgare habitant en France, j’emprunte cette citation à Edward Saïd, Palestinien vivant aux Etats-Unis, qui l’avait trouvée lui-même chez Erich Auerbach, Allemand exilé en Turquie) ».
Nous avons tous envie d’emprunter ces mots, à notre tour, et de les brandir face à la frilosité du monde à venir.

Par Kebir Mustapha Ammi

Kebir Ammi est essayiste, dramaturge et romancier, il vit en France. Ses romans sont parus chez Gallimard et Mercure de France. Son dernier roman Ben Aïcha est publié chez Mémoire d’encrier.

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