Culture

Les oubliés

"Ainsi que tous les hommes" de Hocine Tandjaoui vient de paraître. L’écrivain Kebir Mustapha Ammi nous livre son ressenti à la lecture de l’ouvrage qu’il présente comme « une réflexion sur les destins croisés des hommes ».

Kebir Mustapha Ammi partage, dans cet article, ce qu’il pense de « Ainsi que tous les hommes », une œuvre « qui reconnait comme sienne la complexité du monde. Il y souffle un vent d’une grande fraternité ». Cette invitation à la lecture raconte l’histoire de Bernardo, parti à Tunis enquêter sur la disparition de son grand-père et l’énigme qui entoure des jeunes pakistanais, soldats d’Al Qaeda ( ?), morts dans leur route vers une autre vie.

 

Me voilà au milieu du bric-à-brac d’un fond de cale de luxe, avec le sentiment de dérouler la plus antique des traversées, désormais boatpeoplienne, hantée de bateaux pneumatiques trafiqués et surchargés sur l’immensité bleue dissolvant la pierre, la faune et la flore, tout comme les corps humains bercés, livrés/avalés.

Cette voix est celle de Bernardo. Il revient de Tunis, où il s’est rendu pour enquêter sur la disparition de son grand père. Nous sommes à la fin du livre et ce natif de Tunis sait que les choses ne seront plus jamais comme avant.

Le bateau avance dans une mer en désordre, désormais sans repères. Bernardo a le sentiment d’être dans un monde  «sans ciel, sans lumière, sans azur, comme au fond d’une grotte ». Il était venu de Naples, pour lever le voile sur une partie de son histoire, il sait maintenant le sort qu’a connu son grand-père.

Mais il n’y a pas que cette histoire, si personnelle et terrible, qui lui importait. Une autre énigme le travaille depuis longtemps. Il est hanté par la disparition de jeunes pakistanais tués dans une vigne près de Skopje, par les miliciens de l’infâme Ljube Boskoski, en 2002, qui les décrira comme des soldats d’Al Qaeda qui avaient l’intention d’attaquer des ambassades occidentales. (Le diabolique Boskoski, qui espérait que ce scénario lui assurerait de belles retombées, réussira à passer entre les mailles du TPI !).

Bernardo veut savoir   -il a besoin de savoir-   qui sont ces « hommes parmi les hommes, des êtres humains mus par l’instinct de survie, par l’énergie vitale, ainsi que tous les hommes ».

Les deux histoires, celle de son grand-père et celle de ces jeunes pakistanais sont intimement liées, dans sa tête. Il a décidé d’aller jusqu’au bout. Et rien ne saura l’en détourner. Il ne connaîtra la paix que lorsqu’il saura ce que les uns et les autres sont devenus. Son grand-père, Tomasso, ainsi que Muhammed, Omar, Syed, Hussein, Asif, Khalid et un septième homme dont jamais personne ne saura préciser l’identité.

En archéologue obstiné, il se livre à une fouille en règle. Il traverse des pays et des mémoires qui en savent long là-dessus. Les Balkans mais aussi Carthage. Où d’insignes tragédies reposent dans de somptueux décors.

Il remontera jusqu’à Livio, le père de son grand-père, qui a acheté un terrain à Tunis à la mission archéologique américaine de Prorok. Ce qu’il découvrira mettra sa vie en péril. Car on ne fouille pas impunément dans le passé et le présent. On ne fouille pas dans ce que d’aucuns considèrent comme leur linge privé. Mais Bernardo n’en a cure. Sa condition d’homme est à ce prix. Et sa liberté aussi. Il s’est battu et il se battra. Il ne rangera les armes que lorsqu’il fera toute la lumière sur son histoire et qu’il pourra alors se dire, comme il le dit, en pensées, à son grand père, mort depuis longtemps : « Tu es enfin libre, rejoignant des égaux recherchant l’oubli, des oubliés de toujours ».

Son grand-père lui aura permis d’ouvrir les yeux sur le monde, en lui permettant de mettre au centre de ses pensées, un groupe de sept hommes, anonymes et pauvres, qui n’avaient commis que le crime de rêver d’une vie meilleure.

L’écriture est sobre. Précise Pour nous tenir au plus près d’une voix intérieure et nous faire entendre autant que voir les méandres tourmentées d’une âme désireuse de trouver le nécessaire répit pour affronter les jours à venir.

« Ainsi que tous les hommes » est une œuvre qui reconnait comme sienne la complexité du monde. Il y souffle un vent d’une grande fraternité.

C’est une réflexion sur les destins croisés des hommes. Sur la part des autres que nous portons en nous. Cette part lumineuse qui fait de la vie une si belle aventure. Celle qui nous indique « la voie du risque, de la découverte et de la connaissance », pour que nous méritions notre destin d’hommes.

 

Par K.M. Ammi

 

“Ainsi que tous les hommes” de Hocine Tandjaoui, 108 Edition, Paris 2021, 253 pages.

 

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