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Mohamed Abdi : « Nous devons clarifier les rôles des institutions comme le CCME et la Fondation Hassan II »

Pour lui, les initiatives proposées actuellement ne sont pas à la hauteur de la dynamique souhaitée par le Souverain.

Dans cet entretien, Mohamed Abdi, expert en politique publique, nous livre son analyse sur les récentes réformes des instances dédiées aux Marocains du Monde. Il aborde aussi les mesures mises en place pour encourager les investissements des MDM, tout en soulignant l’importance de renforcer leur attachement à l’identité culturelle marocaine. À travers son expertise, Abdi explore les implications de ces réformes sur la relation entre le Maroc et ses citoyens à l’étranger. Une réflexion clé sur le rôle de nos MDM dans le développement du Maroc.

 Bled.News : Vous êtes expert des politiques publiques et, particulièrement, expert de l’immigration marocaine. Les instances multiples en charge des MRE ont montré leurs limites et des dysfonctionnements liés, notamment, au chevauchement des missions des unes et des autres d’où leurs réformes évoquées dans le dernier discours royal.  Quelles seraient, selon vous, les aspects fondamentaux sur lesquels doivent

Mohamed Abdi : Le discours royal constitue une étape clé, car il met en exergue les profondes mutations qu’a connues la diaspora marocaine ces dernières décennies dans un monde en perpétuel changement. Le discours Royal marque l’importance et le rôle dans le développement et du rayonnement du Maroc.

À travers les orientations royales, Sa Majesté a tracé une véritable feuille de route, notamment en annonçant la création d’une institution dédiée : dénommée ‘Fondation Mohammadia’. Cette annonce faite à l’occasion de la célébration de la Marche Verte traduit la place que le souverain accorde à la Diaspora, et l’appelation « Mohammadia » n’en ai pas moins chargé de sens.

Le Maroc, terre de tradition et de modernité, reste fidèle à ses valeurs d’ouverture et d’unité, et considère de fait la double appartenance de sa diaspora comme une richesse et une force. Cette double identité est un pont précieux entre le Maroc et les pays d’accueil.

Cette philosophie est consacrée dans la Constitution marocaine, notamment dans ses articles 16, 17, 18 et 163 qui consacrent les droits et les liens profonds entre le Maroc et ses citoyens à l’étranger. Ces articles sont l’expression d’un acte politique fort et unique dans la Région. L’article 16, en particulier, énonce :

Le Royaume du Maroc œuvre à la protection des droits et des intérêts légitimes des citoyennes et des citoyens marocains résidant à l’étranger, dans le respect du droit international et des lois en vigueur dans les pays d’accueil. Il s’attache au maintien et au développement de leurs liens humains, notamment culturels, avec le Royaume et à la préservation de leur identité nationale.”

Ce cadre constitutionnel, renforcé par la vision royale, témoigne de l’engagement du Maroc à valoriser cette richesse humaine et culturelle. La diaspora marocaine est ainsi appelée à jouer un rôle clé dans la construction de ponts entre le Royaume et le reste du monde, tout en contribuant à la prospérité et à l’influence internationale du Maroc.

Les mutations observées montrent une diaspora marocaine plus diversifiée, éduquée, et mobile. Les femmes, les jeunes diplômés et les professionnels qualifiés jouent un rôle croissant dans cette évolution, tandis que les destinations s’élargissent bien au-delà de l’Europe pour inclure des pays d’Amérique du Nord, du Moyen-Orient et même d’Asie. Cela reflète une meilleure intégration dans les pays d’accueil, mais aussi une volonté de contribuer à l’économie marocaine.

Ces mutations appellent une réforme structurelle, une transformation de l’approche…Nous devons clarifier les rôles des institutions qui s’occupent des MRE, comme le CCME, la Fondation Hassan II ou les consulats.

A mon sens, la réflexion devrait porter d’abord sur les mécanismes de coordination entre ces entités pour éviter les doublons et garantir que chaque besoin trouve une réponse adaptée.

Sur le plan administratif, c’est l’accès à des outils modernes qui aura le plus d’impact : une plateforme digitale pour gérer les démarches administratives ou accéder à des opportunités d’investissement. Un guichet unique dédié aux MRE, par exemple, pourrait simplifier leur interaction avec l’administration marocaine et rompre avec les retards de procédures qui entravent l’interaction de la diaspora avec son pays.

La protection juridique des MRE est aussi un axe majeur, notamment sur des questions sensibles comme les litiges fonciers ou les successions. Trop souvent, les MRE se sentent démunis face à ces situations. Un mécanisme d’assistance juridique robuste, associé à des campagnes d’information ciblées, serait un progrès énorme. Par ailleurs, nous devons être actifs dans nos relations bilatérales pour défendre les droits des MRE dans leurs pays d’accueil, notamment face à la discrimination ou aux barrières administratives. Et il est judicieux créer au niveau régional un PARQUET spécialisé pour la diaspora….

Sur le plan économique, Les Marocains du monde veulent nécessairement prendre part au développement de leur pays d’origine, et investir dans un environnement économiquement stable, sans risque pour le rapatriement des intérêts et des capitaux et sans risque monétaire.

On peut encourager les MRE à investir au Maroc à travers des produits financiers attractifs, comme les Bon du Trésor dits « Diaspora Bonds ». Connus depuis les années 1930, ces instruments financiers sont populaires en Asie et au MoyenOrient.

SM le Roi place les MRE au cœur du développement du Maroc, non seulement comme des contributeurs économiques, mais comme des partenaires à part entière. Cette transformation, si elle est bien menée, pourrait redéfinir le rôle de la diaspora et renforcer son impact, tant au Maroc qu’à l’international

Enfin, la transparence et l’écoute sont essentiels. Chaque institution doit mesurer l’impact de ses actions avec des indicateurs de performance précis. Il serait pertinent d’instaurer une conférence annuelle de la diaspora pour présenter les réalisations, écouter les retours et ajuster les priorités. L’objectif est de construire une relation participative et durable avec les MRE.

. Une des problématiques concerne l’encouragement des investissements de ces MDM qui est, nous le savons, beaucoup trop faible par rapport aux potentialités existantes. Plusieurs actions sont menées pour en faire un des leviers de développement. Les jugez-vous suffisantes ?

. Les Marocains Résidant à l’Étranger (MRE) ont transféré un montant record de 115 milliards de dirhams (MMDH) en 2023, confirmant leur rôle clé dans l’économie marocaine. A fin Octobre 2024, ces transferts ont déjà atteint 100.290MDH en hausse de 5% par rapport à 2023.  Ces transferts représentent environ 8 % du PIB national et constituent une source majeure de devises pour le pays. Pourtant, ce potentiel financier reste largement sous-exploité en matière d’investissement productif, ce qui révèle un écart significatif entre les capacités des MRE et les résultats obtenus.

Les initiatives proposées actuellement ne sont pas à la hauteur de la dynamique souhaitée par le Souverain. A titre d’exemple, le Fonds MDM Invest, conçu pour stimuler les investissements des MRE, est presque restée lettre morte. Bien qu’il ait permis de financer certains projets, les critères d’accès trop contraignants (apport minimum en fonds propres de 25% en devises et montant de projet élevé) ont limité son efficacité.

Les réformes récentes du gouvernement visent à réduire les exigences d’apport en fonds propres et à élargir les secteurs visés, mais souffre déjà d’un manque de communication qui freinent l’adhésion des MRE.

D’autres pistes sont également prometteuses, telle que Le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement. Ouvrir ce fonds aux apports de la diaspora, notamment pour des projets à impact social et environnemental, serait une décision stratégique. Ce type d’investissement à long terme, dans des projets de private equity ou d’économie sociale, correspond parfaitement aux aspirations de nombreux MRE, en particulier ceux issus des nouvelles générations, plus sensibles aux enjeux de développement durable.

. Quel rôle doivent également jouer les institutions privées ?

. L’une des premières réformes devrait être la refonte de l’offre bancaire dédiée aux MRE. Il est impératif que les banques proposent des produits financiers diversifiés, orientés vers des investissements productifs à long terme. L’immobilier, bien que porteur, ne peut plus être la seule option. Il est crucial de cibler des secteurs stratégiques tels que l’économie verte, les énergies renouvelables, la tech, et l’innovation.

L’attractivité du Maroc pour les investissements des MRE ne pourra émerger que si les réformes proposées sont véritablement mises en œuvre avec ambition et pragmatisme. Pour libérer le potentiel financier de la diaspora, il ne suffit pas de réduire les barrières administratives ou de modifier les critères de financement. Une stratégie holistique des MRE pourrait non seulement dynamiser l’économie marocaine, mais aussi permettre aux MRE de jouer un rôle clé dans la transformation du pays.

. Dans cet ordre d’idée, le lien des MDM avec leur pays d’origine est souvent évoqué. Il est fort à en juger leur réactivité par exemple à l’occasion de catastrophes comme la crise du Covid ou le séisme d’El Haouz. Vous qui êtes en contact permanent avec la diaspora, comment le percevez-vous en-dehors de ces situations exceptionnelles ?

Le lien des Marocains du Monde (MDM) avec leur pays d’origine est profond, sincère et indéfectible. Cela se voit particulièrement dans des moments critiques, comme lors du Covid-19 ou du séisme d’El Haouz, où leur mobilisation a été exemplaire, témoignant d’un attachement fort, enraciné dans l’amour du pays et des valeurs de solidarité.

Mais ce lien va bien au-delà des crises. Il s’exprime dans les gestes du quotidien : les transferts réguliers pour soutenir les familles, les projets personnels ou communautaires qui améliorent les conditions de vie dans leurs régions d’origine, et cet attachement à la culture marocaine, à ses traditions, à sa langue, et à son histoire.

La diaspora marocaine est un prolongement vivant du Maroc à travers le monde. Elle est un pont culturel et économique, un vecteur de rayonnement, et une richesse inestimable. Pour beaucoup de MDM, le Maroc n’est pas seulement une origine, c’est une part d’eux-mêmes, un foyer qui les appelle, une identité qui les porte.

Renforcer ce lien, c’est avant tout continuer à nourrir ce sentiment d’appartenance. Cela passe par des initiatives culturelles qui parlent à toutes les générations, des opportunités économiques qui leur permettent de contribuer au développement du pays, et des moments de partage qui renforcent ce fil précieux qui les unit à leur terre d’origine. Les MDM portent le Maroc dans leur cœur, et il est de notre devoir collectif de préserver et de célébrer cette connexion unique.

. L’attachement est aussi voire surtout une question culturelle. Sur ce dernier point, il semble que de grandes carences persistent. Qu’est-ce qui, selon vous, permettrait de renforcer ce lien, particulièrement avec les 3e et 4e générations qui sont nées et qui ont grandi dans les pays d’accueil ?

L’attachement culturel est un pilier essentiel de l’identité des jeunes générations de MDM. Pour les 3ᵉ et 4ᵉ générations, cet attachement est souvent moins direct, car elles n’ont pas toujours vécu le Maroc au quotidien comme leurs parents ou grands-parents. Cependant, ce lien existe, et il peut être renforcé avec des approches adaptées à leurs réalités.

D’abord, je pense que la transmission de la langue et des traditions marocaines est cruciale. La langue, en particulier, est un vecteur essentiel d’identité. Proposer des cours d’arabe marocain et de tamazight, sous des formes modernes et interactives, dans les pays d’accueil pourrait jouer un rôle clé. En parallèle, organiser des événements réguliers autour de la culture marocaine – qu’il s’agisse de gastronomie, de musique ou de fêtes traditionnelles – permettrait à ces jeunes de vivre ces moments de connexion culturelle.

Prenez le Sport par exemple comme vecteur de transmission de cette culture. L’épopée de l’équipe nationale marocaine lors de la Coupe du Monde a été bien plus qu’un exploit sportif. Elle a incarné un moment d’unité et de fierté collective pour les Marocains du Monde (MDM). Partout dans le monde, des millions de membres de la diaspora ont vibré au rythme des exploits des Lions de l’Atlas, portant haut les couleurs du Maroc dans les rues de Paris, Bruxelles, Montréal, New York ou encore Dubaï. Cet engouement a transcendé les générations, les origines et même les frontières, témoignant d’un lien puissant et intact entre les MDM et leur pays d’origine. Pour beaucoup, cet événement a ravivé leur attachement à leurs racines, rappelant que, malgré la distance, le Maroc reste au cœur de leur identité. Cette épopée a prouvé que le sport peut être un langage universel, unissant une nation et sa diaspora dans une même émotion, une même fierté, et une même ambition de faire rayonner le Maroc sur la scène internationale.

L’Art joue un rôle tout aussi central dans la transmission de la culture marocaine et de son rayonnement. Beaucoup d’artistes d’origine marocaine brillent aujourd’hui sur les scènes internationales, que ce soit en musique, en cinéma ou en mode. Ils incarnent cette double identité qui fait la richesse de la diaspora marocaine. Pour les 3ᵉ et 4ᵉ générations, ces figures sont souvent des modèles qui prouvent qu’on peut porter haut ses racines tout en s’inscrivant pleinement dans la modernité.

Renforcer ce lien passe donc par la valorisation de ces talents. Il serait pertinent de définir une stratégie de captation de ces artistes et athlètes d’origine marocaine, que ce soit à travers des programmes, des festivals, des expositions ou des collaborations avec des institutions culturelles internationales. Impliquer les jeunes MDM dans ces événements, non seulement comme spectateurs mais aussi comme participants, peut être un moyen puissant de leur faire vivre leur culture d’une manière dynamique et actuelle.

Propos recueillis par Rachid Elaoufir

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