Poèmes: Mailles de Racha Loutfi
Un recueil de 50 poèmes s'étalant sur 200 pages, illustré par Mariam Belhaj.
Racha Loutfi, un nom qui sonne comme une note de musique. Elle est d’origine syrienne et vit à Rabat. Elle nous fait l’amitié de publier Mailles ; des textes traversés par une grâce particulière. Un recueil de 50 poèmes s’étalant sur 200 pages, illustré par Mariam Belhaj, une véritable artiste dont je ne saurai louer la touche et l’âme.
Rarement un recueil n’a su attirer l’attention par ses poèmes rimés sur la perte perpétuelle des petits jours à l’heure de l’enfance. La voix qui parle ici connaît sa force mnémonique. Elle s’élève dans la plénitude, observe, exprime, interroge avec une simplicité et un naturel confondants. Mais c’est aussi le sort d’un pays, la Syrie qui est atteint par l’effort d’une volonté qui veut comprendre. La nostalgie, l’amour, la mort et tant de thèmes nous relient à la tragédie de tout un peuple.
L’un des attraits de ce recueil est de constater l’harmonie d’ensemble avec des textes qui semblent sortis d’un cœur confus, par moments meurtri. Séduit par le titre qui m’a donné envie d’entrer dans l’univers de cette poétesse, j’ai été confronté au désarroi et à la réalité d’un pays qui n’est plus qu’un otage. Les regrets, les pertes qui nous sont rappelées, martelées, et le chagrin à fleur de peau n’y peuvent malheureusement rien. Mais l’honnêteté intellectuelle du témoignage prime.
Rarement la Syrie n’a été aussi présente dans des révélations de rêves dispersés. A force, un pays en déliquescence nous est décrit brusque, à contretemps de ce que le lecteur non avisé attend. Pourtant, Racha Loutfi ne nous parle que de choses qui font notre humanité en dépit des cris étouffés, plus concrètement des révoltes et des combats personnels. Et elle le fait dans un style ciselé.
La passion de Racha Loutfi, c’est le réel mordant. Il n’est pas un vrai syrien qui ne puisse se retrouver dans cette épreuve. Si l’œuvre est limpide, elle est aussi sans concession. Les mots qu’on peut juger impitoyables font place aux espoirs pollués, finissent par forger une sagesse. Racha Loutfi montre de la rigueur qu’un poète dans son exil volontaire reçoit de la tristesse d’un monde que la parole sonde dans sa nécessité la plus urgente. L’affligé parle : la révolte, la douleur, la prière lui dictent des textes sans apprêt mensonger :
« A ma terre meurtrie de sang et de souffrances
Berceau d’humanité, berceau de mon enfance
Pour que cesse l’horreur des combats et des armes
Je dédie mes mots, ma révolte, mes larmes… (p.149
Éperdue de lucidité, Racha Loutfi semble avoir mis toutes ses ressources en jeu. La mémoire surchargée par l’image d’une Syrie à la dérive, elle nous invite à lire et faire lire son recueil au-delà de l’histoire et de la tragédie qu’elle fait revivre.
Noureddine Bousfiha