Chroniques

Driss El Yazami: Hommage de Noureddine Bousfiha

Ecrivain, poète à ses heures perdues, sémiologue et sociologue des arts et des littératures, Noureddine Bousfiha, qui vit aujourd’hui à Marrakech, s’est attelé, tout au long de ces dernières semaines de confinement, à livrer ses témoignages sur des personnages qui l’ont marqué au cours de sa vie. Dans ce texte, subtilement écrit comme à son accoutumée, il rend un hommage poignant à Driss El Yazami, une des figures de la lutte pour l’égalité des droits des migrants et un des fondateurs de la revue “Sans Frontière”,  hebdomadaire de l’immigration, créé en France en 1979 par un groupe de maghrébins.  Il deviendra en 2007, le premier président du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger puis président du Conseil National des Droits de l’Homme en 2011. 

 

Je fus introduit par mon ami Kebir Mustapha Ammi auprès de la Rédaction de “Sans Frontière”. L’hebdomadaire avait besoin de volontaires. Nous avions pour nous le tumulte et l’éblouissement de la jeunesse, un petit feu de la connaissance, et la pensée encore fragile, prête à se fortifier. Ailleurs on nous aurait toisés de haut, voire méprisés. A “Sans Frontière”, Driss El Yazami qu’on devait voir ce jour-là, nous reçut avec affabilité. J’avais même senti chez lui une vivacité du coeur et d’instinct. Je le connaissais de nom, mais c’était la première fois où j’eus l’immense plaisir de le rencontrer. Je n’oublierai pas de sitôt la disponibilité de son âme. Travailler à ses côtés était simplement une aubaine, vu son expérience dans le domaine et sa lucidité. Sa confiance accordée nous avait fait d’un bond sortir de la zone des complexes et du cercle des évidences. Nous étions partis pour bannir les fadaises, mus par une splendide ardeur. C’était présumer de notre engagement qui fut immédiat.
Avec Kebir, nous nous sommes occupés de la page culturelle: des critiques littéraires d’ouvrages dont on tirait le brut, l’informe et le conforme, des entretiens, des billets d’humeur. Des Marocains, des Tunisiens, des Algériens dans la même salle de rédaction, ça discutait, ça planifiait, ça rédigeait et l’élan était plutôt généreux. Personne parmi nous n’aspirait à quelque gloire que ce soit. Nous voulions tout simplement être utiles et notre affinité n’a pas tarit nos veines.
D. El Yazami avait une qualité neuve, celle de l’oreille, du regard et de la sensibilité. Il était éclairé et se méfiait de tous les sectateurs qui s’attachaient à dérober leurs propres intentions. Ennemi des chimères, il émondait les nouvelles d’une serpe tranquille. Il avait le nez bon, et son être ne gâtait jamais une idée. La quintessence de ses objectifs se confondait avec le raffinement de sa pensée. Jamais la gravité ne fut si délectable ni la rigueur plus élégante. L’abnégation de soi-même en était pour quelque chose. Dire qu’il s’intéressait à tout ce qui touchait à l’immigration, tout occupé à déchiffrer les signes les moins visibles, serait pur truisme. Dans le milieu, il s’était forgé une notoriété de fureteur de dossiers, et son travail l’exhortait à plus d’approfondissement que de zèle. Il saisissait l’essentiel avant les autres souvent, et le défendait bec et ongle. Pour certains qui ne le connaissaient pas très bien, il n’était pas aisé à saisir.
L’espoir d’une refonte de la politique de l’immigration en France, à demi confondue avec les textes de lois de la République, était cette mémoire commune qui rêvait et désirait d’être entendue, avant d’être considérée. Pour cela il fallait rendre visible l’invisible, mettre sa trace sur les autres traces à peine apparentes. Le mot, le témoignage, l’action, la plume pour illuminer les plaies. Pas très nombreux sur cette voie royale. On a même vu “Aux Dossiers de l’Ecran” -quelques années auparavant- un écrivain parti prêter sa voix à ceux qui n’en avaient pas, avait fini par faire un salto arrière en se désolidarisant du lupenproletariat de son pays: ” Je ne suis pas un immigré, je suis un intellectuel, avait-il proféré”. Il avait tellement pris de hauteur qu’il scandalisa. Les cols blancs savaient se tenir. On leur trouva une expression à la mesure de leur peine: “Arabes de service”. On ose à peine imaginer à quel point la diaspora marocaine d’abord, et les maghébins ensuite furent outrés par ces propos indignes, des propos qualifiés sur le moment de sacrilèges. Dans cette dramatique et ironique histoire, comment ne pas témoigner de la compassion et de l’admiration pour ces hommes et ces femmes qui trimaient, victimes de leurs tristes fortunes? Pour “Sans Frontière”, c’était un impératif moral nécessaire pour retrouver de la dignité sur une table des valeurs qu’il fallait renverser.
Aujourd’hui, quand je repense à cette période où chacun de nous portait sa pierre à l’édifice, je ne peux ne pas songer à ce désir de fraternité qu’on partageait au sein de la Rédaction. “Sans Frontière” brûlait de tous ses feux, et le chemin n’était point balisé. Les pieds heurtaient, ricochaient, mais n’ont jamais tremblé. Je ne peux oublier le rôle que tint Driss El Yazami dans cet hebdomadaire. Il est resté pour chacun de nous un compagnon d’effort et un ami que je salue.

 

Driss El Yazami

 

 

Par Noureddine Bousfiha

 

 

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